La mémoire, la méthode de travail au piano. Chronique d’un professeur de piano N°10
Conseils aux enfants d'un professeur de piano
L’enseignant doit s’adapter
D’abord, je m’adapte à chacun, j’ai rarement une idée concue du déroulement du cours.
J’essaie de repérer leur fonctionnement : plutôt visuel, auditif, tactile ? Procède-t-il par imitation ou plutôt par la lecture, l’analyse ? Cela dépend aussi de l’âge : les enfants imitent sans réfléchir, les adultes ont besoin de comprendre, d’analyser, de reprendre plusieurs fois le même travail. J’essaie de créer un climat de confiance, que l’élève se sente à l’aise, que le cours soit pour lui un réel moment de détente même s’il a peu travaillé. Petit détail pratique, j’ai toujours un double de toutes les partitions dans ma salle de cours, ainsi, quand il l’oublie, ce n’est ni la panique, ni la catastrophe et on peut travailler quand même (non, cela n’arrive pas qu’aux enfants d’oublier une partition, ça arrive peut-être même plus souvent aux adultes !). Cela étonne au début, certains ont de mauvais souvenirs de cours : « Tu n’as pas ta partition alors tu repars » ou « Tu n’as pas assez travaillé, tu reviendras la semaine prochaine », cela se pratique encore, malheureusement.
Nous faisons toujours le point sur leur travail au début du cours. Les élèves me font part de leurs difficultés, de leurs attentes, cela me permet d’organiser au mieux le cours : je précise toujours que je suis là pour les aider, pas pour les juger.
Le cours sera différent avec les étrangers qui n’ont pas les mêmes références culturelles ni la même approche du solfège. Ils travaillent plus par imitation, mais leur niveau est tout aussi bon. Nous prenons du temps pour choisir ce que l’on va jouer. « On apprend mieux ce que l’on aime, le plaisir d’abord, même pour travailler un problème précis, inutile de choisir une oeuvre hideuse et difficile mais qui fera soi-disant progresser, la souffrance n’a jamais fait progresser quiconque » (revue piano). Ensuite, je leur joue le morceau ou un passage, je conseille de ne pas rester prisonnier d’un enregistrement (pas de mimétisme, ni du professeur, ni d’un interprète célèbre). Internet est un précieux allié, permettant d’écouter plusieurs versions d’une même oeuvre par des professionnels ou des amateurs. En cours, je les aide donc à lire, doigter, analyser, mentaliser, sentir un geste technique. Quand un geste est bien ressenti, ils peuvent le reprendre chez eux tranquillement.
Cela occupe parfois tout le cours, mais c’est plus utile que de longs discours ou des exercices fastidieux.
Pour le travail à la maison, voilà quelques conseils
- S’échauffer quelques minutes hors clavier avant de jouer puis jouer pour le plaisir une oeuvre sue et pas trop difficile.
- Travailler d’abord ce qui est nouveau, car notre capacité d’attention s’amenuise très vite, travailler en fin de séance des choses plus automatiques.
- Donner une direction à son travail : sur quels points ai-je l’intention de progresser, aujourd’hui ?
- Avoir du plaisir, si on n’accroche pas avec une oeuvre, inutile d’insister (le choix a été fait en cours ainsi que la lecture, les doigtés, l’analyse sommaire)
- Faire une pause toutes les vingt à trente minutes pour travailler toujours en pleine conscience (notre mémoire perd 20 % de son potentiel au bout de 20 minutes et notre capacité d’attention diminue fortement après un quart d’heure).
- Exclure la routine, ne pas toujours travailler la même chose dans le même ordre, travailler par passages, travailler les enchaînements de phrases et de parties.
- Privilégier la conscience du travail, le cerveau humain apprend vite à condition qu’un intérêt le maintienne en éveil.
- Rester attentif à toute douleur, gêne, inconfort, arrêter si besoin, en chercher la cause.
- Quand un passage résiste, ne pas insister, chercher un autre doigté, un autre geste, une autre façon d’attaquer.
- Changer éventuellement l’octaviation d’une partie pour la travailler afin de rester face au clavier ou déplacer le tabouret
- Mettre parfois la sourdine et ne pas toujours travailler à pleine puissance afin de ne pas s’épuiser.
- Travailler mentalement pour économiser son corps.
[Revue piano n°11]
Tous ces aspects auront été développés en cours, tout est prétexte à un travail différent, à un exercice nouveau ; j’espère que les élèves sauront le retrouver, l’adapter, le réinventer pour avancer. Il est nécessaire que le professeur ait bien décortiqué les oeuvres pour qu’il puisse anticiper les problèmes que rencontreront les élèves. Il faut aller au devant de la difficulté, et la signaler plutôt que laisser l’élève tomber dedans. Pas de rabâchage, notre temps et notre corps sont trop précieux pour cela, toujours créer la surprise, susciter l’intérêt et le plaisir dans la bonne humeur. Jean-Claude Pennetier (revue piano n°12) met aussi le corps en avant et l’écoute intérieure. Il conseille depuis longtemps aux musiciens le taï-chi, la danse, le mime, pour une prise de conscience de la place du corps dans toute discipline nécessitant maîtrise et expression.
Il dit : « Le corps dans sa globalité est le médium entre notre imagination sonore et sa transcription digitale. L’écoute intérieure, prospective de ce que nous désirons produire doit enclencher des modifications subtiles de notre respiration, de notre tonus musculaire, de nos points d’appui. Ce travail s’effectue seulement si des tensions et des blocages ne viennent pas interférer de façon négative. Tout le sens du dialogue avec notre corps est de reconnaître la supériorité de sa mémoire, de sa science, sur la réalisation consciente que nous en avons et en même temps la possibilité pour nous d’utiliser ce réservoir formidable en le canalisant, en le modulant. De cette démarche peut naître le corps musicien ».
La mentalisation et le travail sur le corps doivent faire partie intégrante du travail (deux domaines trop peu sollicités dans les études traditionnelles). Trop souvent, le travail lent est la seule proposition face à une difficulté. Je termine cette partie avec Denis Levaillant, qui écrit à propos de l’improvisation : « Le travail instrumental n’est pas toujours libérateur d’imagination. Après avoir beaucoup travaillé, on peut sentir que tout est possible sans savoir quoi jouer précisément et à l’inverse, si on n’a pas touché l’instrument depuis un certain temps, on peut découvrir une autre musique. » Si on transpose cela au classique, cela veut dire une autre façon de jouer, d’interpréter, de se comporter à l’instrument. Les quelques premières minutes, quand on se remet à l’instrument, sont parfois un état de grâce… car il n’y a plus de blocage…
Le cerveau a besoin de temps parfois, pour digérer un apprentissage.
Rédactrice : Patricia Cousin. Professeur de piano
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