Psychopathologie du quotidien du musicien d’orchestre
Dans la fosse d'orchestre, on bavarde, on galège...
Dans la fosse d'orchestre, le temps s'écoule, une vie s'organise, les musiciens ne font pas que jouer, ils vivent aussi.
Un jour Rolf Lieberman, alors directeur de l’Opéra de Paris, reçoit une lettre : « Monsieur, j’étais placé hier soir à côté des trombones », lui écrit un spectateur. « Je n’ai pas très bien entendu le Chevalier à la rose. En revanche, en écoutant discuter vos musiciens, j’ai appris comment construire un poulailler. » Vérité ou ragot infâme ? L’anecdote, en tout cas, est symptomatique : il s’en passe de belles dans les fosses d’orchestre. Même dans les plus illustres.
« Oui, c’est vrai, des lettres comme ça, Lieberman en recevait de temps en temps. Il les affichait au tableau de service. Ça la fout mal » ; admet à regret ce corniste. Sur ces histoires, règne au Palais Garnier un silence de plomb. Le meilleur orchestre de France – « du monde » souffle-t-on des coulisses –a aussi ses petites faiblesses, bien humaines. On les tait. L’esprit maison fait le reste.
Ainsi,on n’avouera jamais qu’à l’Opéra, comme dans un vulgaire music-hall, les percussionnistes lisent le journal pendant le spectacle. Pourtant, il suffit de les voir à l’œuvre dans Sémiramis, au Théâtre des Champs Elysées, quand Bernard Lefort fait passer le prestigieux ensemble au lit de Procuste. Et il faut entendre contrebasses et violons papoter pendant les silences de la partition, pour laisser quelques illusions au vestiaire. Non, les musiciens de fosse ne communient pas nécessairement en Rossini, Francis Lopez ou Dalida ! Non, ils ne sont pas des moines corps et âmes dévoués à la grande cause de la musique. Et la ferveur ne règne pas davantage sous la scène du Châtelet. Ce soir, c’est l’orchestre Colonne, renforcé, certes, de « variétés », selon le mot de Guy Arnault, secrétaire de cette institution bi-centenaire. C’est West Side Story. C’est du Berstein. Pourtant, ce n’est aucunement le silence respectueux où chacun retient sa toux.
Ce lieu caverneux bourdonne comme une ruche. On bavarde. On galège. « Certains soirs on rigole, mais on arrête parce que le chef fait la gueule. »Les cuivres tapotent leur embouchure, histoire de rythmer à leur façon l’air de Maria. Les commentaires vont bon train sur le chef du jour, un remplaçant : « Celui-là est plus intelligent que l’autre. Il a compris que ça ne sert à rien de battre la mesure en avance et qu’il vaut mieux suivre l’orchestre. » Le chef fait la sourde oreille, prudent. Qu’est-ce qui fait chahuter les musiciens ?
Comment les musiciens d'orchestre d'opéra évite l'ennui
L’ennui. « Un opéra dure trois ou quatre heures. Si le percussionniste reste une demi-heure sans jouer, que voulez-vous qu’il fasse pendant ce temps ? » demande-t-on à Garnier. Ce qu’on peut faire ? Ce qu’ils font. Ils s’amusent, ils lisent, ils parlent. Ils se livrent aussi à de charmantes facéties. « Une fois, confie un membre du pupitre de cordes, un hautbois avait fini sa partie. Il devait sortir avant la fin de l’acte. Des plaisantins ont mis des cloches derrière la porte. Ça a fait un bruit effroyable. » Voilà bien les gens du Palais Garnier. Côté face : nœud papillon, respectabilité, talent, conscience professionnelle. Côté pile : farces et gamineries.
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