Psychopathologie du quotidien du musicien d’orchestre
Le chef d'orchestre, le seul à voir les danseuses de face
Aux Folies Bergères, les deux faces coïncident. La fosse, cocon de bois tissé à côté de la chaudière. Dissimule l’orchestre à la vue des spectateurs. Les musiciens jouent en bras de chemise et en Adidas. René Leroux, le chef, trente-cinq ans de carrière au service du French-Cancan, passe sa tignasse et sa moustache blanches par le trou du souffleur. C’est d’ailleurs le seul à voir le spectacle et les danseuses de face. « Nous, on les reconnaît par en dessous, mais pas si on les rencontre dans les coulisses », explique un clarinettiste. Vu d’en bas, Leroux est un être acéphale agitant sa baguette.
Aux Folies, la même revue est à l’affiche depuis quatre ans. Le train-train. Les mêmes chaises chaque jour, les mêmes photos de Play Boy épinglées aux murs. « C’est pas Bayreuth ici », souligne le trompettiste. Pendant que les petites marquises lèvent la jambe sur scène, l’orchestre joue d’un air blasé. Des mesures à vide ? Aubaine : on se plonge dans Libération ou dans la Guerre des appelés en Algérie. Et au bon moment, on embouche son saxophone ou sa clarinette. Pas une bavure. Pas un « pain ». Même quand un trombone livre à l’admiration publique le plâtre de sa jambe cassée, dédicacé par Léonard Bernstein. L’ordinaire du musicien. Mais, l’extraordinaire arrive aussi…
La routine peut tuer un orchestre
Dans la fosse des Folies, la petite famille musicienne se fait parfois plaisir tout en abattant consciencieusement son ouvrage. Quelqu’un arrose sa nouvelle voiture ? Une naissance ? Un remplacement mirifique décroché dans une salle prestigieuse ? Aussitôt, entre deux tutti, les bouteilles sortent des sacs et des housses à instrument. Champagne pour tout le monde, whisky pour les autres. Les bouchons sautent. « Ils faut voir ça certains soirs. Ça y va. On a même dit qu’on faisait frire des merguez. Alors là, c’est complètement faux », rectifie quelqu’un. Sous le plancher secoué par la danse des Brésiliens de pacotille, c’est la java dans la samba. Tout faire pour combattre la routine. Car elle peut tuer un orchestre.
Le chef. L’autorité en smoking. Le charisme en escarpins vernis. Jacques Delvincourt, trois décennies de direction dans les music-halls parisiens, conduit l’orchestre du Lido. Ses musiciens installés en cascade sur un balcon de côté ne badinent pas souvent sous sa baguette d’airain. C’est qu’il faut les tenir, ces dix-sept bougres en costume bleu pervenche ! Presque cachés au public, ces durs à dormir, patinés par les nuits du Gay Paris, sont facilement mutins. Dissipés, prêts à bavarder, à échanger des tuyaux pour le tiercé, voire - ça c’est vu – à déclencher des batailles au pistolet à eau. Tout, tout, plutôt que l’ennui…
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