Psychopathologie du quotidien du musicien d’orchestre
Des musiciens frustrés
Autre grief : les remplacements en cascade. Vous répétez avec un pianiste. Tout va bien. Vous imaginez naïvement qu’il vous accompagnera le soir. Grave erreur ! Au dernier moment, vous risquez de découvrir une nouvelle tête. Mais où passent-ils donc ? « Ils sont partis faire des phonos, des séances d’enregistrement », explique Martial dégoûté. Ah ! les phonos. « Du temps où Lopez était au Châtelet, j’avais prévenu l’orchestre : pas de phonos ! Eh bien, pendant une matinée, je découvre douze remplaçants sur vingt-cinq titulaires. Certains s’étaient fait porter pâles pour aller faire des phonos. »
Une blague célèbre circule parmi les instrumentistes. Un contrebassite demande à son concierge de le remplacer à l’Opéra. « Vous verrez, c’est très facile. Vous ferez semblant de jouer et ça ira très bien. » Le jour dit, le concierge s’installe dans la fosse au milieu du pupitre. Le chef fait signe. Silence glacial : tous les bassistes étaient des concierges ! Guy Arnault, par ailleurs clarinette-basse à l’Ensemble intercontemporain, récuse cette image des musiciens. « Vous retardez de dix ans. Chez nous à Colonne, on exige l’exclusivité. Sinon on licencie. » Mais admet-t-il, « ce genre de pratique existe toujours dans le milieu des variétés. »
Avoir la "tête" du chef d'orchestre !
Quoi qu’il en soit, un orchestre est capable de tuer un chef. Roberto Benzi se souviendra longtemps de la bronca des musiciens de l’Opéra. Et Jésus Etcheverry, le maître d’André Martial, ne montait jamais au pupitre sans se demander : « Qu’est-ce qu’il vont encore me faire ce soir ? » Pourquoi cette férocité ?
Il y a d’abord l’esprit de groupe. « Ils sont la plupart du temps charmants pris un par un », explique Maddy Mesplée. « Mais en masse, ils changent du tout au tout. S’ils ont décidé d’avoir la peau d’un chef, même d’avoir un très grand, ils l’ont. » Il y a ensuite la frustration. Mi-technicien mi-artiste, le musicien de fosse souffre de l’anonymat. Rien n’est possible sans son talent. Mais la gloire n’est pas sa récompense. Il y a enfin ce plaisir musical qu’on recherche et qu’on ne trouve pas toujours. « La position d’un musicien d’orchestre est difficile », souligne Patrice Fontanorosa, violon-solo à l’Orchestre philarmonique de Radio-France. « Il est là à 99 % pour faire de la musique.
Quand le chef est bon, convaincant, la musique est bonne, même à travers sa conception de l’œuvre, qui n’est pas forcément celle des musiciens. Lorsque le chef n’est pas bon, on est comme des amoureux déçus. Les chausse-trapes sont des vengeances. » Et, puis, comme le dit Guy Arnault : « On peut être brillant musicien et stupide. Il y a dans notre profession de redoutables crétins. » Côté chanteurs, la charge est encore plus dure. « Ils s’imaginent tous assez talentueux pour être dirigés par Karajan ou Böhm, tempête B. S. Ils disent tous qu’ils veulent faire des récitals. Qu’est-ce qu’ils attendent ? « Chiche ! Mais alors, qui accompagnera les cantatrices.
Alain Leygnier, Les Nouvelles Littéraires, Semaine du 4 février au 11 février 1982
article mis à jour par Médecine des arts
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