Edith Piaf

Une voix


 

 

 

 

 

 

 

 

 

La fabrique de la chanson

Édith Piaf est une grande travailleuse. Répertoire et interprétation : tout fait l’objet de longues séances de travail. Pour le répertoire, elle abandonne le style truculent des réalistes qu’elle pratiquait au début de sa carrière, elle s’essaie même à l’autodérision dans Pour qu’elle soit jolie ma chanson, refuse de se mettre à chanter les poètes qu’elle respecte trop, à l’exception cependant de Prévert. Piaf aime les mots simples, ceux de tous les jours, qui traduisent des états émotionnels intenses. Son répertoire est populaire au sens le plus universel. Elle écrit elle-même, fait travailler des auteurs. D’autres, connus ou anonymes, lui font des propositions, comme Henri Contet, Paul Misraki, Michel Rivgauche, Delécluse et Senlis… Elle privilégie avant tout dans son interprétation la diction, l’intelligibilité et la clarté des mots. Elle commande ensuite des musiques à ses compositeurs favoris, au premier rang desquels Marguerite Monnot et dans une moindre mesure Norbert Glanzberg, Henri Crolla, Louiguy, Gilbert Bécaud ou Charles Dumont. Une figure intéressante d’auteur-compositeur est Michel Emer. Avec lui, elle délaisse le rythme de la java pour adopter celui de la valse. Ses incursions, plutôt réussies, vers le blues et le jazz (Je t’ai dans la peau) ou le rock (L’Homme à la moto) ne la convainquent pas pour autant de changer radicalement son style. Elle se produit d’ailleurs toujours avec un accordéoniste et un pianiste mais ne dédaigne pas les orchestres avec sections de cuivres et de violons, ainsi que les chœurs. Sa voix quant à elle a la puissance d’une voix qui est née en plein air et a dû se projeter bien haut entre les immeubles, une voix de poitrine qu’elle lance face public avec une grande économie de gestes. Le visage pâle offert au public et les mains plaquées sur sa robe noire dessinent une silhouette qui deviendra mythique. En 1948, Roland Barthes, alors jeune lecteur à l’Institut français de Bucarest, ne s’y trompe pas, qui donne une conférence sur le caractère passionné de Piaf, conférence dont le manuscrit inédit est présenté dans l’exposition : « Succès énorme, écrit-il, représente une immense vague de fond du peuple qui veut chanter. » « La robe de scène, je l’ai étrennée lors de mon premier passage à Bobino et, si elle a été refaite bien des fois, elle n’a pratiquement pas bougé. Je ne veux pas que mon apparence distraie le spectateur. » Celle qu’avait gardée Piaf à la fin de sa vie, transmise par Danielle Bonel à la BnF, est présentée au centre de l’exposition tandis que des témoignages filmés analysent le travail sur la voix, l’enregistrement, l’écriture…

Succès international

Après 1945, la carrière de Piaf prend une dimension nouvelle. Les grands titres de son répertoire datent de cette période : La Vie en rose, Hymne à l’amour… Elle devient une star internationale, fait de longs séjours aux États-Unis, se produisant notamment au Carnegie Hall. Son impresario Louis Barrier organise ses tours de chant et ses tournées. Sa popularité est immense. En France, elle noue un lien particulier avec Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia, et sauve d’ailleurs la salle de la faillite. Elle s’y produira pour la dernière fois en 1962. De nombreux documents personnels inédits présentés dans l’exposition (fiches d’introduction de chansons en langues étrangères, listes des chansons…) ainsi qu’un reportage photographique sur une tournée à Angers témoignent de son intense travail et de son immense succès. En témoigne aussi le nombre d’interprètes qui après sa mort revendiquent ou revisitent son héritage. Ils reprennent son répertoire, pour une chanson - Mon manège à moi par Etienne Daho, Non je ne regrette rien par Les Garçons Bouchers, Mon Légionnaire chanté par Serge Gainsbourg dans un clip célèbre de Luc Besson ou Un monsieur me suit dans la rue par Juliette - ou présentent des spectacles entiers comme Patricia Kaas avec l’album Kaas chante Piaf en 2012. Tous les genres musicaux s’approprient son répertoire : les chansons de crooners (Sinatra) comme le rock (Catherine Ringer, Alain Bashung, l’Anglaise Anna Calvi…), le raï (Cheb Mami), le jazz (Louis Armstrong), le disco (Grace Jones), le rap (Cut Killer)… Sans reprendre directement les chansons de Piaf, d’autres artistes trouvent en elle une source plus ou moins enfouie de leur inspiration : Renaud, Mano Solo et même Madonna ou Lady Gaga… Dès 1959, Francis Poulenc compose une Improvisation n°15 en do mineur pour piano, Hommage à Edith Piaf tandis que Léo Ferré lui rend aussi un vibrant hommage avec la chanson À une chanteuse morte, écrite en 1967.

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