Hygiène et santé publique du temps de Mozart. Dossier 2
Hygiène individuelle et publique du temps de Mozart
Au XVIIème siècle, siècle de raison, Descartes postule alors que tous les hommes sont également raisonnables, et adopte la raison comme base de sa philosophie . Selon lui , il ne faut « jamais laisser une question sans réponse » mais « réfléchir sur chaque sujet » [1].
Le XIXème siècle verra, quant à lui, l’émergence des idées de santé publique et d’hygiènisme, avec l’arrivée massive des populations rurales vers les agglomérations urbaines, due à l’essor de l’industrie.
Hygiène individuelle et publique [2] [3] [4]
Au début du 18ème siècle, la propreté et l’hygiène ne font pas partie des préoccupations de la population des villes et des campagnes. On ne fait alors aucune relation entre la maladie et la propreté du corps, les usages domestiques ou la qualité des aliments. Néanmoins, on a la notion de ce qui est salutaire, et ce qui est nuisible.
Au début du XVIIIème siècle, les bains, autrefois largement utilisés, ne se pratiquent plus. On ne fait sa toilette que pour des occasions exceptionnelles. L’emploi du savon et de l’eau est jugé dangereux, l’eau risquant de pénétrer dans le corps et d’y provoquer des effets néfastes. Contre les odeurs, on utilise les parfums. [5] [6]
Dans les villes, les habitants vivent dans des conditi ons d’hygiène déplorables. Personne ne respecte les règles de salubrité, pourtant établies depuis le XVIème siècle dans certaines villes françaises. N’oublions pas que chez les plus pauvres, des dizaines de personnes s’entassent parfois dans quelques mètres carrés d’habitation, vivant dans des conditions d’hygiène déplorables ou les maladies contagieuses n’épargnent personne. [2]
Les propriétaires aménagent parfois dans leur maison un lieu d’aisance [6] que la famille Mozart, de passage à Paris, découvre :
« Avez-vous déjà entendu parler de cabinet d’aisance anglais ? - On en trouve ici dans presque tous les hôtels particuliers. Des deux cotés, il y a des conduites d’eau que l’on peut ouvrir après s’être exécuté ; l’une envoie l’eau vers le bas, l’autre, dont l’eau peut être chaude, l’envoie vers le haut. Je ne sais comment mieux vous expliquer cela avec des mots polis et bienséants, je vous laisse le soin d’imaginer le reste ou de me poser des questions lorsque je serai de retour. Ces cabinets sont en outre les plus beaux qu’on puisse imaginer. Généralement, les murs et le sol sont en majolique, à la hollandaise ; à certains endroits construits à cet usage, qui sont soit laqués en blanc, ou en marbre blanc ou même en albâtre, se trouveni les pots de chambre de la porcelaine la plus fine et dont le bord est doré, à d’autres endroits il y a des verres remplis d’eau agréablement parfumée et aussi de gros pots de porcelaine remplis d’herbes odorantes ; on y trouve aussi généralement un joli canapé, je pense pour le cas d’un évanouissement soudain. » [7]
Mais les locataires utilisent plutôt pour leurs besoins naturels des chaises percées ou des pots de chambre, dont ils jettent le contenu par la fenêtre ou dans une fosse prévue à cet effet. De même, l’âtre de la cheminée sert couramment d’urinoir. Le prix de l’eau est très élevé, et on doit donc précieusement l’économiser. On se lave donc à- plusieurs dans la même bassine ou la même casserole qui sert ensuite à préparer le repas. Certaines maisons aristocratiques sont équipées d’un cabinet de toilette, rarement d’une baignoire.
Les bains publics, que seuls quelques privilégiés peuvent fréquenter, sont peu nombreux. [6]
Les pâtés de maisons sont entourés de ruisseaux ou d’égouts ou stagnent des eaux putrides et nauséabondes. Les caniveaux véhiculent des immondices. Les trottoirs n’existent pas, et seules quelques rues sont pavées. [2] Les denrées « fraîches » achetées chez les commerçants sont souvent pourries. Les tas de fumier s’amoncellent dans les rues.
La santé des nourrissons
La santé du nourrisson [8] [9] laisse aussi à désirer. Au XVIIIème siècle, l’alimentation au sein reste une nécessité vitale pour l’enfant, mais les nourrices, issues des couches les plus pauvres de la population, négligent souvent l’enfant ou sont elles-mêmes porteuses de maladies. De nombreux nourrissons et enfants abandonnés sont également confiés à des nourrices, à la campagne. Le voyage pour rejoindre ces nourrices est parfois fatal aux plus jeunes d’entre eux. Les enfants qui ne peuvent être confiés à une nourrice sont nourris, à la campagne, au lait de chèvre. On utilise des petits récipients en terre cuite ou une « corne » à allaiter jusqu’au début du XVIIIème siècle.
L’autre alternative au lait de nourrice est le « pap », ou panade, surtout connu en Angleterre. Il s’agit de pain bouilli avec de l’eau ou de la bière, auquel est ajouté du sucre.
Ce mélange est également fort utilisé à Salzbourg, et Mozart et sa soeur en sont nourris étant enfants. Le problème de l’alimentation du nourrisson n’échappe pas à Mozart, faisant l’objet de passages dans la correspondance :
« Je me soucie de la fièvre de lait ! - car elle a des seins assez gonflés ! - Maintenant, contre ma volonté, et cependant avec mon accord, l’enfant a une nourrice ! - Ma femme, qu’elle soit ou non en mesure de le faire, ne devait pas nourrir son enfant, c’était ma ferme résolution - Mais mon enfant ne devait pas non plus avaler le lait d’une autre ! - J’aurais préférer l’élever à l’eau, comme ma soeur et moi - Toutefois la sage-femme, ma belle-mère et la plupart des gens ici m’ont proprement prié de ne pas le faire pour la bonne raison que la plupart des enfants nourris à l’eau en meurent parce que les gens d’ici ne savent pas s’y prendre ; - cela m’a donc incité à céder - car je ne voudrais pas qu’on put m’en faire reproche. » [7]
Hygiène et usage du savon
Au cours du 18ème siècle, l’hygiène commence à changer [2] : on commence à se servir de savon ; le nettoyage quotidien des dents est recommandé ; l’usage des couverts de table se répand ; on recommande l’air pur des campagnes, sensé , lutter contre les mauvaises exhalaisons. On s’occupe du nettoyage des rues. Après la chaise percée, les « W.C. à l’Anglaise » font leur apparition, ainsi que le bidet dont l’utilisation va se répandre largement. Le linge n’est plus considéré comme le meilleur instrument de propreté.
Les premières notions d’hygiène publique (déjà enseignée dans les écoles publiques allemandes depuis le 17ème siècle) commencent à être connues sous l’influence des « Lumières ». [10] Les premières campagnes sanitaires font également leur apparition, ayant pour cibles la lutte contre l’alcoolisme, qui fait des ravages, ainsi que l’hygiène maternelle et infantile . On porte en effet une attention toute particulière à la santé de l’enfant et du nourrisson.
L’allaitement dès la naissance, l’encouragement de l’allaitement maternel, l’utilisation du biberon de verre entrent dans les moeurs. A la moitié du XVIIIème siècle, des cours d’accouchements aux sages-femmes seront organisés. A ces mesures succède une diminution de la mortalité infantile notable.
Le concept de contagion ( bien que connu depuis l’Antiquité) et de transmission par un agent extérieur reste encore très flou. [2] A la suite de la découverte par Leeuwenhoek d’« animalicules » dans le sang et le sperme , le XVIIIème siècle reprend la théorie de la « pathologie animée », selon laquelle les germes de la contagion sont des êtres vivants comparables aux parasites.
Les codes sanitaires
Les codes sanitaires, édictés depuis le XVIème siècle concernant la syphilis, et depuis le début du XVIIIème la phtisie pulmonaire, sont très impopulaires et donc mal observés. L’inoculation de la variole connaît un succès variable selon les pays européens. Les villes et les habitations commencent progressivement à s’assainir. La lutte contre la malaria s’organise [11] ; on réalise des « topographies médicales », qui en donnent des localisations épidémiques , en France. En France, la loi du 22 juillet 1791, visant à la répression des exhalations putrides, établit les règles de surveillance des fosses. On décide également d’éloigner les cimetières des villes.
En 1793 est créée dans chaque commune une commission chargée de veiller à l’ hygiène publique [11]. Puis en 1794, la Convention prendra la mesure d’inclure l’enseignement de l’hygiène dans les études médicales. Le conseil d’hygiène et de salubrité de Paris est créé en 1796. Les pouvoirs publics commencent à prendre conscience de l’importance de la santé publique et s’intéressent aux règles d’hygiène de nos voisins européens. Quelques initiatives individuelles sont également à souligner. Ainsi, l’abbé Jacquin, dans son livre « De la santé, ouvrage utile à tout le monde » [12] publié en 1771, met en garde contre le danger des maladies contagieuses, et préconise un matériel à usage médical propre à chaque individu (en particulier pour la saignée). Citons également Jean-Noel Hailé, qui occupa la première chaire d’hygiène et de physique médicale, créée en 1796 à Paris, alors qu ’en Allemagne, la chaire d’hygiène sociale est créée par Johann¬Peter Franck ( 1745-1841). Baudelocque (1746-1810) insiste sur l’importance de l’air pur dans les hôpitaux. Lavoisier fait des propositions pour le contrôle de l’hygiène hospitalière. Il prône le dépistage des maladies contagieuses et l’amélioration de l’hygiène du corps et des vêtements des malades et médecins. Didelot dans son « Avis aux gens de la campagne » [13], quant à lui, dresse un tableau de la pratique médicale en France. Il insiste sur l’importance de l’hygiène et du rythme de vie, sur l’aspect psychosomatique de certaines affections, dénonce tout excès, fait des propositions pour éviter les maladies infectieuses, et annonce les prémices de l’écologie.
Réforme hospitalière
Le XVIIIème siècle multiplie les projets de réforme hospitalière, sous l’impulsion de l’Angleterre et de l’Allemagne [2] [14]. En France, jusqu’à la Révolution, on distingue les hôpitaux généraux, les « hôtels-Dieu » et les « maison-Dieu ». L’Hôpital général de Paris, premier hôpital général de France, fut créé au XVIIème siècle. Les hôpitaux généraux, d’administration en majorité laïque, sont chargés, selon une ordonnance royale, de « loger, enfermer et nourrir les pauvres mendiants, invalides, natifs des lieux ou qui y auront demeuré pendant un an, comme aussi les enfants orphelins ou nés de parents mendiants ». Les « hôtels-Dieu », hôpitaux comprenant du personnel médical, accueillent les malades qui ne sont ni lépreux, ni vénériens ni pestiférés . Des médecins sont attachés en titre à chaque établissement, mais leurs visites y sont très irrégulières. Puis les « maison- Dieu », sorte de petit hôpital au sein de maison particulière, subsistant grâce à des dons et legs, et qui prennent en charge également des malades.
Au total, les établissements hospitaliers, où de nombreuses congrégations religieuses trouvent leur place, sont destiner à soulager toutes les infortunes, et à remédier autant sinon plus à la pauvreté qu’à la maladie. En France, c’est l’incendie de l’Hôtel-Dieu à Paris, en 1772, qui va déclencher le mouvement de réforme des hôpitaux, après celui d’Angleterre et d’Allemagne. Le projet de reconstruction est l’occasion de nombreux débats et publications, notamment en ce qui concerne l’hygiène au sein des hôpitaux . Tous sont d’accord sur le fait que, désormais, l’hôpital doit avoir pour centre d’intérêt la guérison du patient, et doit donc être salubre et « bien aéré ».
Ainsi Jacques Tenon, rapporteur en 1788 d’une commission nommée par l’Académie des sciences et chargée par Louis XVI de visiter les différents hôpitaux de Paris, écrit que l’hôtel-Dieu est « construit contre ses propres intérêts ». Dans son « mémoire sur les hôpitaux de Paris », en 1788, il remet en cause la structure et l’organisation des hôpitaux parisiens, et en particulier de l’Hôtel-Dieu (créé au VIIème ou VIIIème siècle) dont l’emplacement et la structure, après l’incendie de 1772, sont appelés à changer. Il dénonce dans ce mémoire les conditions d’hygiène auxquels sont soumis les malades et les convalescents. Aucune distinction n’est faite entre contagieux et non-contagieux, malades présentant des plaies, opérés, femmes ayant accouché ou en fin de grossesse, enfants trouvés, « fous », convalescents , etc. Tous sont placés indistinctement dans les mêmes salles et sont entassés à plusieurs dans le même lit. Le taux de mortalité globale y est très élevé. Tenon, après avoir visité les hôpitaux de Paris mais aussi certains hôpitaux de Province et d’Angleterre, préconise dans ce mémoire des mesures visant à améliorer l’hygiène des hôpitaux. Il propose que les malades soient un par lit, que les salles communes soient plus grandes, que les malades soient répartis, dans les salles selon la maladie dont ils sont atteints, de répartir ceux-ci dans différentes maisons rattachées à l’Hôtel- Dieu, de changer l’architecture de l’hôpital afin qu’elle réponde à ces nouvelles mesures, etc. Il introduit dans son mémoire les plans détaillés des différents hôpitaux visités et propose un projet d’hôpital pour femmes enceintes et malades, un autre pour malades incurables. Ce souffle de réforme hospitalière en France sera suivi, après la Révolution, par des tentatives de réformes sociales concernant le système hospitalier (les administrations municipales étendront leurs pouvoirs au contrôle des hôpitaux, etc.).
La reconstruction de l’Hôtel-Dieu de Paris ne verra le jour qu’au XIXème siècle.
Au début du XIXème siècle, l’hôpital deviendra non seulement un centre de soins pour les malades, mais aussi le centre de la formation des médecins et de la médecine clinique.
A la fin du XVIIIème siècle, grâce à l’amélioration de l’hygiène individuelle et aux mesures d’hygiène publique, on assiste au début de l’amélioration du niveau de vie dans l’ensemble de la population, malgré la détérioration des conditions de vie des habitants des villes du fait de l’augmentation de la population des villes et de l’augmentation des prix.