Les nuances, le phrasé, l’interprétation. Chronique d’un professeur de piano N° 9.
Interprétation
La suite, l’interprétation proprement dite (ou l’intelligence musicale), s’adressera aux élèves un peu plus avancés.
A propos de l’interprétation, revenons un peu en arrière. Denis Levaillant écrit « Historiquemenent jusqu’au baroque, l’écriture n’avait pratiquement pas de place, on improvisait ou on harmonisait (basse chiffrée à l’orgue). Puis, on a copié des partitions pour les transmettre d’un instrument à un autre (c’est la transcription), Bach, par exemple, a commencé à transcrire Buxtehude pour l’apprendre. Au XIXe siècle, les musiciens jouent leurs propres oeuvres (Chopin, Paganini, Liszt), mais il est nécessaire de transmettre plus que ses oeuvres au public, donc de transcrire des oeuvres du passé. Comme l’écrit est devenu l’original, la seule part possible d’existence du musicien (en dehors de ses compositions) reste la transcription. La transcription est donc […] la naissance de l’interprétation moderne ».
A l’heure actuelle, on joue moins de transcriptions, mais on interprète, on réinvente ce que les compositeurs avaient improvisé puis écrit (l’écriture venait souvent dans un deuxième temps, les musiciens jouant d’abord leurs oeuvres au clavier). Ceci explique souvent la difficulté qu’ils avaient à écrire leurs compositions du fait du peu de signes à leur disposition et d’un code strict.
C’est pourquoi il faut relativiser l’exactitude de l’écriture, un même rythme peut se jouer de façon très différente, aucun signe ne traduit vraiment une attente ou un léger accéléré.
Chaque instrumentiste est différent, je préfère aller dans le sens de l’élève en développant toujours ce pour quoi l’élève a le plus de dispositions plutôt que « d’appuyer là où ça fait mal » en insistant encore et encore sur ses faiblesses. C’est plus gratifiant et plus efficace. L’interprétation est aussi source de liberté, Frédéric Stochl écrit « La musique reste le produit de ceux qui la jouent, une oeuvre profondément assimilée par l’interprète peut donner l’illusion d’improviser »… Scheyder dit aussi « On improvise en interprétant ».
Voilà qui permet de déculpabiliser ceux qui restent un peu muets face à l’improvisation et de prendre conscience que le classique n’enferme pas. La sensibilité, l’interprétation se développent aussi au fil du temps et au fur et à mesure des progrès accomplis à l’instrument, aussi bien techniques que physiques. Elle est selon moi l’aboutissement d’un travail divers et varié avec les élèves, elle s’acquiert, se conquiert parfois sur du long terme.
On ne nait pas toujours musicien, on le devient en associant aussi d’autres activités, d’autres connaissances, d’autres pratiques. C’est le travail de toute une vie où les progrès, le plasisir sont toujours possibles sans être toujours linéaires. Katia Labeque élargit le champ en disant « La difficulté dans l’interprétation c’est de trouver un équilibre entre l’ordre et le désordre, l’instinct et le contrôle, la luxuriance et la volonté de se discipliner. C’est la tension entre ces deux extrêmes qu’il faut développer ». Ces notions engagent tout notre être, toute notre personnalité. Elles vont plus loin que le simple travail de l’instrument mais elles permettent parfois de se surprendre quand on ne s’y attendait plus. Un extrait de roman de Alexis Salatko me servira de conclusion. Il écrit en parlant de son père : « C’est à ce moment de notre vie que le virtuose qui sommeillait en lui se rapprocha le plus de la perfection. Ce n’était plus le funambule du clavier mais un homme revenu du tout, qui laissait parler son coeur. Non, sa musique n’a jamais été aussi belle […] il jouait sans se battre contre un fantôme, mais avec un relâchement, une liberté qui communiquait à ses interprétations un bonheur jamais égalé ».
Rédactrice : Patricia Cousin. Professeur de piano
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