Johann Strauss
Chef d'orchestre
Mais le roi donna naissance à un prince, et ce prince, Johann, fut l’aîné de cinq enfants : Joseph, Netti, Thérèse, Ferdinand (qui mourut bientôt) et Edouard. Le prince devint bientôt un prétendant. De même qu’Ovide nous dit que tout ce qu’il essayait d’écrire était en vers, le petit Johann ne montrait guère de dispositions que pour la musique ; tout était pour lui lettre close ; le violon aurait seul pu le dérider. Son père ne vit pas d’un bon œil poindre le goût de la musique chez Johann. Avait-il peut d’un concurrent ? Non, il croyait simplement que son fils n’arriverait pas à faire son trou au soleil et végéterait.
Le jeune Strauss était forcé d’obéir à la volonté paternelle ; il fut d’abord employé dans une administration de caisse d’épargne. Ce n’était point là son affaire. Le démon de la musique le tenait et dès que Johann avait quitté son poste, c’était pour travailler le violon ou pour prendre des leçons de violon. Sa mère fut pour lui une aide et une consolation en la circonstance ; ce fut elle qui, tendre et dévouée comme pouvait l’être une mère, trouvait le moyen sur son budget des dépenses journalières de distraire quelque argent pour que son fils pût achever son éducation musicale.
Les premières économies de la mère furent destinées à remplacer le mauvais violon sur lequel Johann jouait par un instrument de choix ; et quand un beau soir Johann devant son père interpréta avec son frère Joseph les danses paternelles, puis joua de la musique de sa composition, ce fut un vrai étonnement pour Johann père, à qui on avait été obligé de faire croire que c’était là un violon d’emprunt, c’était le talent du fils, c’étaient ses trouvailles mélodiques, et là le père ne s’y trompa point. Son fils devenait son rival.
Johann abandonna dès lors le poste peu lucratif, du reste, qu’il occupait dans la journée et il chercha à faire son trou au soleil. Il commença par écrire de la musique religieuse, tint l’orgue dans une chapelle, puis trouva à diriger un petit orchestre. Ce fut là le commencement de sa réputation qui devait arriver bientôt à éclipser celle du père.
Chef d’orchestre n’est qu’un vain mot. Nous ne voyons un chef d’orchestre que battant la mesure avec un bâton en main. Johann Strauss, lui, jouait du violon en même temps ; il ne s’interrompait que pour donner la mesure avec son archet. Mais là ne se bornait pas son rôle : il jouait, il dirigeait et il dansait pour ainsi dire en même temps. Sa mimique était tellement expressive qu’un sourd aurait pu deviner sa musique rien qu’à le voir diriger.
Son succès fut étourdissant à Vienne ; et à la mort de son père en 1849, il se trouva tout naturellement placé à la tête de l’orchestre que celui-ci avait dirigé. Il conserva l’archet jusqu’en 1863, époque à laquelle il le céda à ses deux frères Edouard et Joseph.