Des maladies des maîtres de musique, des chanteurs
Quel est le métier, la pratique artistique du malade ?
Il y a dans la société des hommes assez mal intentionnés pour accuser la Nature, cette mère bienfaisante de tous les êtres, de n’avoir pas veillé sur l’espèce humaine avec assez de prudence et de circonspection, et de n’avoir pas prévu tous les dangers auxquels l’homme est exposé par les circonstances de sa vie. Ce reproche se trouve dans des livres, et est souvent répété dans la conversation. Cependant la plus injuste querelle qu’on lui suscite à ce sujet et qui lui fait donner si mal à propos le titre de marâtre, c’est d’avoir forcé l’homme à pourvoir chaque jour à l’entretien et à la conservation de sa vie, qui, sans ce secours, serait bientôt détruite. En effet le genre humain, délivré de cette nécessité, ne connaîtrait aucune loi et ce monde que nous habitons changerait bientôt de face. Aussi Perse n’a-t-il pas regardé la main comme la plus industrieuse des parties corps, et a-t-il si ingénieusement appelé l’estomac le maître des Arts (Magister artis, ingeniique largitor Venter).
Ne serait-il donc pas permis d’assurer que cette nécessité, qui donne aux animaux, même les moins raisonnables, un instinct presque ingénieux, a fait naître tous les arts, soit mécaniques, soit libéraux, qui malheureusement sont altérés par quelques maux, ainsi que tous les biens dont l’homme jouit ? En effet, ne sommes-nous pas forcés de convenir que plusieurs arts sont une source de maux pour ceux qui les exercent et que les malheureux artisans trouvant les maladies les plus graves où ils espéraient puiser le soutien de leur vie et de celle de leur famille, meurent en détestant leur ingrate profession ? Ayant eu dans ma pratique de fréquentes occasions d’observer ce malheur, je me suis appliqué, autant qu’il a été en moi, à écrire sur les maladies des artisans. Mais comme dans les ouvrages de ces derniers, si un d’entre eux a trouvé quelque chose de nouveau, cette découverte est d’abord très imparfaite et demande à être perfectionnée par le travail de ses confrères, un ouvrage de littérature est absolument dans le même cas. Mon traité doit donc subir le même sort pour plusieurs raisons, mais principalement parce qu’il contient quelque chose de neuf. Le champ que je défriche n’a été parcouru par personne que je sache et il promet une moisson intéressante d’observations sur la subtilité et l’énergie des effluves de différentes substances. Cet ouvrage, tout imparfait qu’il est, servira, j’espère, d’aiguillon aux autres médecins, et leur secours contribuera à en faire un traité complet sur cette matière, qui méritera une place dans les fastes de la médecine. La condition malheureuse de ces artisans respectables, dont les travaux, quoique vils et méprisables en apparence, sont si nécessaires et si avantageux pour le bien de la république, n’exige-t-elle pas ce service, et n’est-ce pas une dette qu’a contractée envers eux cet art, le premier de tous, qui comme l’a dit Hippocrate dans ses préceptes, donne ses secours sans intérêts et s’occupe aussi bien des pauvres que des riches ?
Pour peu qu’on réfléchisse aux avantages que les arts mécaniques ont apportés à la société, on voit d’un coup d’œil l’énorme distance qu’il y a, à cet égard, entre les nations européennes et ces barbares de l’Amérique et des autres pays reculés. C’est sans doute d’après une pareille réflexion, que ceux qui ont bâti des villes et posé les fondements des royaumes ont eu le plus grand soin des ouvriers qui les habitaient, comme nous l’apprenons dans les fastes de l’histoire. Ces grands hommes ont établi des collèges ou communautés d’artisans. Ainsi Numa Pompilius, au rapport de Plutarque, s’acquit la gloire la plus solide pour avoir réuni dans des corps différents les architectes, les joueurs de flûte, les doreurs, les teinturiers, les tailleurs, les corroyeurs, les ouvriers en cuivre, et les potiers de terre, etc. Tite-Live nous apprend qu’Appius Claudius et Publius Servilius consuls ont institué un Collège de Mercuriaux, ou communautés de marchands appelées Mercuriaux parce que Mercure était, chez eux, le dieu du commerce, comme Vulcain et Minerve occupés au travail des mains étaient, suivant Platon (De legibus), les dieux des ouvriers. Sigonius (De Jure antiquo Romanorum) et Guidus Pancirolus (De notitia utriusque Imperii) nous ont appris les droits et les privilèges accordés à ces communautés d’artisans. Ils étaient admis à donner leurs suffrages et promus aux dignités, et par conséquent, suivant la remarque de Sigonius, ils étaient comptés parmi les citoyens de Rome. Dans les Pandectes et dans les Codes, il est fait mention des matelots et des artisans ; et Jules César (L. 1. Ff. Quod cujuscumque Universitatis nomine, vel contra eam agatur) après avoir donné la liste des Collèges des ouvriers, de leurs droits et de leurs privilèges, dit qu’il leur était permis, comme à une espèce de république, de négocier par soi-même, de se choisir des députés et de se faire des lois, pourvu toutefois qu’elles ne fussent pas contraires aux lois publiques, ainsi que le rapporte Paulus (In L. Cum senatus. Ff. De rebus dubiis.). L’empereur Vespasien, si l’on en croit Suétone, a entretenu et protégé les arts tant libéraux que mécaniques, a pris soin de faire travailler assidûment et d’augmenter ainsi le gain des plus vils ouvriers. Un jour, un architecte lui ayant exposé qu’il pourrait faire conduire au Capitole une masse énorme à très peu de frais, il lui répondit : « Laissez-moi nourrir mon peuple ».
Donc puisque dans les villes bien établies, on a toujours fait et on fait encore des lois pour le bien-être des artisans, il est bien juste que la médecine concoure aussi au soulagement de ces hommes dont la jurisprudence fait tant de cas, et qu’animée par le zèle qui lui est particulier et qui jusqu’à présent ne s’est point encore montré à l’égard des ouvriers, elle veille à leur santé, et fasse en sorte qu’ils puissent exercer avec plus de sûreté et moins de crainte l’art que chacun d’eux professe. J’ai employé, à cet effet, tout l’effort dont je suis capable et je n’ai pas dédaigné de visiter quelquefois les boutiques et les ateliers les plus vils, pour y observer avec soin tous les moyens usités dans les arts mécaniques : j’ai cru qu’un pareil travail ne serait pas inutile dans un temps où la médecine est réduite presque toute entière à la mécanique, et où les écoles ne retentissent que de l’automatisme.
J’espère toutefois trouver grâce auprès de nos célèbres professeurs, s’ils veulent bien réfléchir que dans une seule ville, ou dans un seul pays, tous les arts ne sont point mis en pratique, et que chaque lieu a les siens propres qui peuvent donner naissance à différentes maladies. Je ne me suis attaché en parcourant les boutiques des ouvriers (qui sont, à cet égard, la seule école où on peut s’instruire), qu’à décrire ce qui peut intéresser les curieux et surtout fournir des moyens de guérir ou de prévenir les maladies qui attaquent les artisans. Je conseille donc au médecin qui visite un malade du peuple de ne point lui tâter le pouls aussitôt qu’il est entré, comme on a coutume de faire sans même avoir égard à la condition du malade, et de ne point déterminer presqu’en passant ce qu’il a à faire en se jouant ainsi de la vie d’un homme, mais plutôt de se croire un véritable juge, et de s’asseoir quelque temps sur un simple banc comme sur un fauteuil doré, et là, d’un air affable, d’interroger le malade sur tout ce qu’exigent et les préceptes de son art et les devoirs de son cœur. Il y a beaucoup de choses qu’un médecin doit savoir, soit du malade, soit des assistants ; écoutons Hippocrate sur ce précepte : « Quand vous serez auprès du malade, il faut lui demander ce qu’il sent, quelle en est la cause, depuis combien de jours, s’il a le ventre relâché, quels sont les aliments dont il a fait usage ». Telles sont ses propres paroles ; mais qu’à ces questions il me soit permis d’ajouter la suivante : quel est le métier du malade ? (Liceat quoque interrogationem hanc adjicere : et quam artem exerceat ?). En effet, quoique cette demande puisse se rapporter aux causes occasionnelles, elle me paraît néanmoins à propos et même nécessaire à faire à un malade du peuple. Cependant je remarque ou qu’on l’oublie assez souvent dans la pratique, ou que le médecin, qui sait d’ailleurs la profession du malade, n’y fait pas assez attention, quoiqu’elle soit capable d’influer pour beaucoup sur le succès de sa cure. C’est dans ces vues et pour contribuer au bien de la république et au soulagement des artisans, que j’offre mon traité au public. Je prie le lecteur de le recevoir avec bonté et d’en excuser les fautes en faveur du sujet.
Ramazzini
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