Cueco, interview exclusive

Interview de Cueco

Médecine des arts. Je voudrais savoir si dans votre travail, vous avez rencontré des difficultés techniques, de postures par exemple, le travail sur de grandes surfaces qui pourrait rendre le geste plus difficile ?
Cueco. Je vois pas de difficultés, je ne l’exprimerai pas sous la forme de difficultés techniques car je crois, je pense que le geste erroné n’est pas étranger au travail, l’erreur fait partie du travail, le travail est riche de réalité, de vérité, et en même temps d’erreur.
Par exemple quand on regarde (un grand dessin exposé devant lui) des dessins, comme celui-là par exemple, on voit qu’il y a des traces de fusain plus ou moins effacé, cela veut dire que c’était la mauvaise place, que ça m’intéressait pas que ce soit là, il fallait décaler, le fusain cela s’efface, donc à ce moment-là on décale un peu plus loin, mais on garde le plaisir de la trace, de (ce qu’on pourrait appeler) la faute, ce qui fait qu’il y a une circulation du trait.
D’un trait, on pourrait arriver à regarder le dessin uniquement par les erreurs du travail, car l’erreur fait partie de la vérité des choses, la vérité du regard c’est l’erreur.

Médecine des arts. Le geste se fait-il économique avec le temps, avec l’expérience ? Le geste est-il le même que celui que vous aviez adolescent, ou à l’armée lorsque vous dessiniez, ou est-ce que l’expérience aidant, le geste est plus sûr, plus économique ?
Cueco. C’est possible, mais je n’arrive pas bien à m’en rendre compte. Là, j’ai repris une petit peu une série de travaux sur de toutes petites toiles et j’ai commencé cela lorsque j’étais à Paris et comme dire… je le ne trouve pas en termes de difficultés, mais pour la bonne raison que s’il y a une difficulté, ce peut être un élément d’un dessin qui se décale mais le décalage ça crée un trait, ça enrichit à la fois la vision qu’on en a vu et le travail lui-même. Je crois que je ne suis pas le premier à avoir trouvé ça. Alors ça peut aller plus loin. Si vous voulez un exemple connu dans l’histoire de l’art, que j’aime beaucoup, c’est Matisse qui a inventé la faute de dessin ; pendant longtemps, je vais essayer de le décrire, il a dessiné ses personnages (je me souviens de ce personnage qui a une blouse) et quand il y a de la couleur il la met à l’intérieur du cercle qu’il a préparé. Mais plus tard dans sa vie, il a inventé la « faute de dessin », c’est-à-dire, il fait un dessin puis il décale la couleur par rapport au dessin, alors elle n’est pas à l’intérieur du dessin qu’il a tracé. Et ce décalage-là crée un mouvement, une vérité, un effet de travail, un effet de vie qui est fascinant. Voilà, la faute de dessin, il en fait une œuvre.

Médecine des arts. Vous avez remarqué dans l’Odalisque, cela a été d’ailleurs décrit dans des articles médicaux, la problématique qu’il y a au niveau du rachis lombaire, le bas du dos ; il y a eu des études sur l’idée suivante : est-ce qu’elle pourrait avoir une vertèbre de plus ? Est-ce que spontanément vous auriez fait un dessin avec un allongement identique du dos ?
Cueco. Spontanément non, sûrement pas, mais j’étais ravi, j’ai trouvé une femme qui était encore plus grande que les femmes habituelles, moi qui suis un peu petit, j’ai toujours eu le complexe de ne pas être un candidat possible pour une femme aussi grande, aussi longue et aussi belle et j’étais émerveillé par cette femme si longue, si belle et avec un regard désapprobateur : ça m’a frappé aussi et je me suis dit, tiens ! elle s’est rendu compte que je regardais ses fesses, c’est pas bien…

Médecine des arts. Est-ce que dans votre carrière, dans votre travail vous avez pu être confronté à une problématique de toxicité d’un produit ? Est-ce que cela a pu modifier la technique elle-même, et vous a obligé de faire autrement parce que le produit vous gênait, comme Niki de Saint Phalle a pu être gênée, voire intoxiquée dans son travail avec les matières plastiques et cela lui a imposé de « faire faire » à d’autres ce qu’elle inventait, ce qui modifie complètement la façon de créer ?
Cueco. J’y réfléchis, j’y repense mais je n’arrive pas à trouver.

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