Ring finger (le doigt d’alliance), ou le dégantement du doigt chez un musicien

Accident grave du doigt du musicien, le ring finger

Pourquoi les musiciens ne doivent pas porter d’alliance
Artistes, musiciens, circassiens etc… vos mains sont précieuses, protégez-les. Les accidents liés au port d'une alliance entraîne des séquelles qui vont avoir un impact important sur la pratique artistique

Cas clinique : traumatisme d'un doigt portant une alliance chez le musicien

Monsieur J. S est musicien professionnel, il joue de la guitare dans un groupe de musique actuelle. Lors d’une tournée, à la fin d’une répétition et des réglages habituels avant le spectacle du soir, il s’est assis sur le bord du plateau de la scène, face à la salle, il discute en buvant une bière avec les techniciens. La bière bue, il pose la bouteille à côté de lui, et prenant appui de sa main gauche, il s’apprête à sauter de sa position assise de la scène sur le sol de la salle (1,5 mètre plus bas). Lors du mouvement du saut, son alliance s’accroche à un rivet sur la scène qui servait à maintenir le chemin de câble. La suite de cet accident, c’est l’appel du service de secours d’urgence, la prise en charge du musicien, la récupération de la partie du doigt qui a été sectionnée par l’alliance du fait de la traction exercé lors du saut et son maintien par le crochet situé sur le chemin de câble.


Le ring finger ou le doigt d’alliance

Le ring finger est une lésion digitale provoquée par l’accrochage d’une alliance ou d’une bague portée au doigt et qui se présente sous la forme d’un véritablement dégantement total ou partiel du doigt. La bague s’engage dans un « point fixe », un crochet , un clou par exemple, alors que le corps est en mouvement, (plus rarement l’accrochage se fait par un point en mouvement, machine par exemple). La traction exercée dégante totalement ou partiellement le doigt. La caractéristique particulière de cet accident est que la traction exercée sur le doigt par l’intermédiaire de la bague réalise une avulsion expérimentale (= arrachement) au niveau des tissus. Malgré une intervention chirurgicale précoce, le pronostic fonctionnel est particulièrement sombre. Ils sont parmi les accidents de la main les plus graves et les plus difficiles à traiter.
On compte en France 350 amputations digitales par an, soit un arrachement de doigt par jour. On retrouve des statistiques proportionnellement similaires dans l’ensemble des pays occidentaux. Cela situe l’importance de ce problème et le manque de prévention sur ce thème. (pour les pays industrialisés, sur un ratio moyen de 300 cas par an pour une population de 60 millions d’habitants [1]
Ce type d’accident touche toutes les populations, lors d’activités banales de la vie domestique et de loisir. Les hommes (2/3) sont plus souvent concernés que les femmes. Parmi les accidents bénins répertoriés dans la base EPAC[6] entre 1999 et 2003 et dont 25 % des victimes sont de jeunes enfants, plus de la moitié sont du type « bague coincée autour du doigt » et surviennent dans des activités de jeu et de loisirs, un tiers surviennent par accrochage à des clous, des grillages, des portes ou portières en mouvement, et moins de 2 % durant des activités sportives ou de bricolage.

Les gestes et mécanismes dangereux

  •   En sautant d’un véhicule
  •   En retombant d’un grillage
  •   Par un objet en mouvement
  •   Sur un clou
  •   En tombant d’un escabeau
  •   En accrochant ses clés
  •   En claquant une porte
  •   En plongeant
  •   En sautant d’un bateau
  •   Gardiens de but
  •   Un manège, une machine en mouvement

Mécanisme physiopathologique du ring finger

Les lésions vont également dépendre de la force de traction (au-delà de 110 newtons) selon le matériau constitutif de la bague, son ajustement au doigt, la violence et l’angle du mouvement :
Une étude de l’université de San Diego sur cadavres a montré dans 90% des cas qu’une force exercée de 80 newtons provoque des atteintes des chairs sans rupture des nerfs, vaisseaux, tendons et articulations ; les premiers arrachements digitaux interviennent dès 111 newtons.

« La première étude, réalisée en 1998 sous la direction du Dr David M. KUPFER du département de chirurgie plastique et orthopédique de l’Université de San Diego en Californie[8], consistait à lâcher sur une hauteur de 23 cm un poids de 66 kg attaché à un doigt porteur d’un anneau, lui-même suspendu par un crochet. Les résultats montrent que dans plus de 90 % des cas, les lésions causées par les bagues et alliances se situent en classe II (29 %) et IV (61 %). Sur l’échantillon testé (41 doigts), les lésions de classe I (10 %) intervenaient à moins de 80 N[9], les premiers arrachements digitaux à 111 N. La résistance maximale d’un doigt se situait à 346 N, avec une moyenne de 154 N. Par ailleurs, les enregistrements filmés montraient que la peau est l’élément le plus résistant du doigt. Dès que celle-ci cède, le reste du doigt se dégante ou s’arrache rapidement. De ce fait, bien que moins résistants à la traction, les anneaux fins et étroits ou trop ajustés qui provoquent un phénomène de cisaillement de la peau à la traction seraient plus dangereux que les anneaux larges et épais. »

Aspects cliniques du ring finger

Ces accidents sont gravissimes. Ce traumatisme présente une plus grande gravité qu’une section franche d’un doigt. En effet le cas d’une réimplantation raide du doigt sectionné bénéficiant d’une réimplantation rapide conserve un pronostic acceptable. Le doigt d’alliance procède d’un mécanisme d’arrachement, et d’un pronostic plus sombre. La lésion n’est pas nette, les tissus sont dilacérés progressivement avec une vitesse plus ou moins rapide. L’étirement qui intervient de manière variable selon le mécanisme et la force appliquée va engendrer des lésions différentes selon le mécanisme physique et la résistance des tissus :
Coupant d’abord la peau, puis les nerfs et les vaisseaux ainsi que les tendons et enfin l’os.

  •   « les nerfs cèdent de façon plus ou moins distale,
  •   les vaisseaux de façon très proximale,
  •   l’os se fracture souvent au niveau de l’articulation interphalangienne, proximale (IPP) et parfois au niveau de l’interphalangienne distale (IPD).
  •   la peau se plisse d’abord, puis si la traction continue elle se retire comme un gant,
  •   les lésions tendineuses peuvent aller jusqu’à la jonction musculo—tendineuse au niveau de l’avant-bras.

La lésion se termine en général par une amputation complète

"Dans la forme typique, le doigt est totalement arraché, le patient se présente avec une exposition de la base du IVe doigt, d’où saillent deux phalanges. Le fléchisseur superficiel s’insère encore sur la base de la deuxième phalange et les vaisseaux ne saignent plus.
Sur la face dorsale, l’extenseur est en partie abimé. Par contre, au niveau du fourreau cutané résiduel, il n’est pas rare de voir le fléchisseur superficiel avulsé.
Dans certains cas, la rupture a lieu au niveau de l’interphalangienne proximale. Dans d’autres cas, le fourreau cutané peut être isolé, ne contenant aucun fragment osseux." (Houvet)

"Ce phénomène a été plus précisément étudié par deux chirurgiens de la main qui ont tenté de mesurer le seuil de résistance maximal de doigts porteurs d’un anneau. L’analyse de leurs observations s’appuie sur une classification des lésions communément utilisée par les spécialistes [2] :

  •   classe I : atteinte cutanée sans rupture des vaisseaux, nerfs, tendons et articulations ;
  •   classe II A : atteinte cutanée et rupture bilatérale des vaisseaux ;
  •   classe II B : atteinte des tissus, des vaisseaux, avec rupture partielle des nerfs et des tendons et articulations ;
  •   classe III : déchaussement complet du plan cutané autour des articulations ; (dévascularisation artérielle et veineuse avec dévascularisation osseuse) ;
  •   classe IV : arrachement complet du doigt.

Traitement chirurgical

La traction qui s’est exercée sur les tissus et les lésions induites rendent plus complexe les gestes chirurgicaux. Le traitement vise à réparer les différents tissus. D’abord la restauration de l’axe vasculo-nerveux qui conditionne le rétablissement fonctionnel et trophique du doigt. Lorsque l’amputation totale ou partielle a pu être évitée, les séquelles sont souvent présentes : raideur, troubles vasomoteurs, sensibilité perturbée.
La réimplantation d’un doigt arraché n’est réalisable que si les tissus lésés ont pu être conservés dans de bonnes conditions de froid et d’hygiène et si le délai entre l’accident et la réimplantation est relativement bref (inférieur à 6 heures).
Le taux de succès de la réimplantation du doigt est de mauvais pronostic sur le plan fonctionnel (environ de 20 à 30 % de succès).
L’orientation rapide vers un service spécialisée chirurgical de la main et du membre supérieur est de première importance.

in La main traumatique par michel Merle et Gilles Dautel, volume 1, Masson

Les amputations de type « ring finger » réalisent une avulsion « expérimentale ». Leur pronostic est sombre, tant en ce qui concerne le taux de succès des reimplantations que par les résultats fonctionnels obtenus. Il reste toutefois licite de tenter la replantation, en particulier lorsque la section osseuse se situe au-delà de l’interphalangienne proximale, ménageant l’insertion du fléchisseur superficiel et de la bandelette médiane de l’extenseur.
Les modalités de la revascularisation ont été codifiées par Foucher. Par un court abord médiolatéral en regard de l’interphalangienne distale, on aborde l’artère collatérale, en choisissant le côté où cette artère est la plus courte. Ce même abord autorise le raccourcissement osseux et la préparation de l’ostéosynthèse par l’introduction de broches de Kirschner en va-et-vient. Un long pontage utilisant une veine longitudinale palmaire superficielle de l’avant-bras est alors suturé en temino-terminal sur cette collatérale. Le doigt avulsé vient ensuite « coiffer » le moignon digital et l’ostéosynthèse est complétée. Une arthrodèse de l’IPD règle le plus souvent le problème posé par l’avulsion du fléchisseur profond. La suture artérielle proximale s’effectue dans la paume en ne gardant que les premiers millimètres de l’artère collatérale palmaire. Au terme de cette réparation, la revascularisation du fourreau cutané et de la partie distale du squelette s’effectuera grâce à l’artère collatérale non disséquée, réalimentée à contre-courant à partir des anastomoses distales. Il est donc essentiel de ne jamais la disséquer.
Le temps nerveux de la replantation peut dans ce contexte faire appel à une greffe nerveuse primaire. Il est parfois possible cependant de réaliser une réparation directe en faisant appel à une suture croisée. Il suffit pour ce faire de sélectionner en proximal comme en distal le moignon nerveux le plus long. L’excès relatif de longueur obtenu autorise alors une suture croisée. La fermeture cutanée achève ce temps palmaire, elle est le plus souvent possible du fait du raccourcissement osseux.
A la face dorsale, si certains cas permettent une suture directe des veines, la plupart à l’inverse se présentent comme une perte de substance mixte peau et veine. L’utilisation d’un des lambeaux porte veine décrits est alors la solution de choix.

La prévention

Du fait de la gravité lésionnelle et fonctionnelle notamment pour le musicien et les métiers qui demandent une habileté des doigts experte, de haut niveau, la prévention doit être systématique, d’autant que celle-ci est simple et économique ; ne pas porter de bague au doigt. Pour les pratiques où simplement la préhension peut être nécessaire une bague ne doit jamais être placée sur le pouce qui assure cette fonction.
 

Le meilleur traitement du "ring-finger" est en fait préventif, et consiste simplement chez le musicien à ne pas mettre d’alliance et de bague au doigt

Sur le plan de l’ergonomie des bagues vis-à-vis du risque
"Pour préserver la liberté de ses créateurs, la profession (des bijoutiers) a toujours été réticente à l’adoption de textes réglementaires et normatifs encadrant la fabrication des bijoux. Ceux qui existent concernent essentiellement la qualité des produits mis sur le marché et la protection du consommateur contre les transactions frauduleuses."
Pour autant le risque est identifié :

  •   sur le plan des risques professionnels, un certain nombre de règlements intérieurs dans des établissements industriels ou dans des lycées d’enseignement professionnel industriel interdisent le port de bagues et d’alliances dans les ateliers, les laboratoires et les aires de jeux,
  •   sur le plan de certaines pratiques sportives, certaines fédérations interdisent le port de bijoux et particulièrement de bague (basket, football, judo etc).
bagues avec un point de faiblesse

De manière plus générale, pour l’ensemble de la population qui désire porter une bague, on ne peut que conseiller d’avoir soit des modèles ouverts qui garantissent une ouverture de l’anneau en deçà du seuil vulnérant pour le doigt ; soit des modèles dotés, de par leur conception d’un ou deux points de faiblesse (le point d’insertion des pierres pour les bagues empierrées) ou réalisées dans des matériaux peu résistants (bois, résine).

bagues avec plusieurs points de faiblesse


La réimplantation a été faite dans des délais tout à fait acceptable pour ce musicien Mr. J. S. Par contre malgré des soins de kinésithérapie spécialisée, la récupération fonctionnelle est de qualité insuffisante pour reprendre l’instrument. Un an plus tard, Mr. J. S. n’a toujours pas repris et pense se reconvertir dans une activité extra-musicale. Il va consulter à Paris à la consultation pluridisciplinaire médico-chirurgicale pour le musicien organisée par l’Association européenne Médecine des arts pour faire le point sur sa capacité à reprendre ou pas son instrument.

Rédacteur Docteur Arcier André, Président fondateur de Médecine des arts®
Médecine des arts® est une marque déposée. Copyright Médecine des arts©

Bibliographie

  • [1] 1. Journal of hand Surgery - 2000 p 418-421
  • [2] 2. Cette classification s’inspire de celle du Dr URBANIAK - Journal of Hand Surgery 1981 ; 6 : 25-30.

 

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