La voix chantée, une méthode d’analyse de risque

La matrice d’Haddon
Médecin et ingénieur américain, William Haddon a fortement contribué à la méthodologie de l’analyse des risques à la fin des années 1950. Il a utilisé ses connaissances issues de champs différents afin de développer une méthode d’analyse et de prévention de risque qui tient compte à la fois du sujet (la personne affectée), de l’agent du risque (l’agent causal, l’instrument de musique, la technique vocale, par exemple) et l’environnement physique et social, concept multifactoriel novateur à cette période.
Haddon a établi une grille nommé The Haddon Matrix. Ces items sont mis en perspective en fonction de la séquence temporelle en relation avec l’incident, la blessure, l’affection, soit avant l’incident, pendant l’incident, après l’incident.
A partir des connaissances épidémiologiques, Haddon mettait en évidence que les lésions, blessures ne survenaient pas par hasard, mais qu’elles étaient le résultat d’une interaction complexe de facteurs de risques humains, techniques et environnementaux.

Maîtrise des risques
L’approche de Haddon a permis de développer dès les années 1950 un cadre conceptuel pour mieux maîtriser les risques qu’il a représenté sous la forme de la "matrice de Haddon". Celle-ci permet, par ses multiples dimensions, de déterminer les facteurs étiologiques et de répertorier les diverses stratégies ou mesures qu’il est possible de mettre en œuvre pour assurer la maîtrise du risque.
Classiquement utilisé dans le domaine des traumatismes, ceci peut être étendu à d’autres domaine, notamment les pratiques artistiques.

Les aspects multifactoriels des problèmes de santé liés aux pratiques artistiques
La matrice de Haddon est composée de deux axes qui peuvent également être déclinés ainsi :
le premier met en perspective trois familles de facteurs de risque ou de protection.

•   Les facteurs humains : les comportements du sujet, musicien, chanteur, danseur, circassien.
•   Les facteurs environnementaux physiques et techniques : l’acoustique de la salle, le niveau sonore, l’environnement lumineux, mais aussi l’ergonomie de l’instrument, la technique vocale, la qualité du plancher, la technique de la danse, etc.
•   Les facteurs liés à l’environnement social, économique, législatif : l’existence de normes légales en matière par exemple de niveau sonore, de plancher, de tabac, les modes d’apprentissage, la précarité, le statut social, etc.

Le deuxième axe est temporel (avant, pendant et après) dans la survenue de la lésion, de l’affection. Dans le champ des affections des artistes, cela peut être :

•   Avant, les mesures protectrices pour éviter la lésion.
•   Pendant, les mesures de protection visant à réduire la gravité des blessures.
•   Après, l’accès rapide à des centres spécialisés afin de réduire l’aggravation des blessures.

Cette grille met en évidence le fait que les lésions, les affections sont d’origine multifactorielle. Par conséquent, il est souhaitable que les stratégies pour les prévenir ou en réduire la gravité soient des stratégies mixtes, alliant des modifications sur l’ensemble de ces facteurs, humains, environnementaux, sociaux et organisationnels. La prise en charge de cette gestion du risque ne peut pas reposer sur la seule intervention des personnels de santé. La pluridisciplinarité n’est pas un choix pour Médecine des arts, mais une exigence pour répondre comme l’avait conçu Haddon aux aspects plurifactoriels des incidents, accidents, affections qui surviennent chez les artistes.
A côté de cette grille d’analyse, Haddon a proposé une séquence générique de dix contre-mesures visant à réduire le risque de lésions et d’affections. Cette séquence peut également être adaptée et utilisée dans le cadre de la prévention dans les pratiques artistiques. Il s’agit ici d’un exemple dans le champ de la voix.

De nombreux étudiants en chant rapportent des symptômes de fatigue vocale. Les affections vocales sont indubitablement le résultat d’une constellation de facteurs identifiés dans le modèle d’Haddon. Parmi ces facteurs, les étudiants chanteurs citent en premier les exigences vocales très importantes auxquelles ils sont confrontées dans leur pratique, celle-ci incluent les cours de chant, les répétitions, les performances que cela soit en solo ou en pratique d’ensemble. Ils citent également comme facteur important de symptômes vocaux, en dehors des utilisations précédentes et de la voix chantée, l’abus vocal dans la voix parlée notamment. Les étudiants rapportent également l’hygiène de vie tels que les repas tardifs en soirée, la consommation de café, tabac, alcool. Concernant les chanteurs professionnels, ils rapportent également des symptômes de fatigue et d’affections vocales similaires à ceux des étudiants chanteurs. Lors d’une enquête par questionnaire, les professeurs de chant étaient 21 % à rapporter des problèmes actuels de voix, et 64 % rapportaient avoir eu un problème de voix dans le passé. Seulement 56 % des professeurs de chant interrogés qui connaissaient un problème actuel de voix indiquaient avoir consulté, et 83 % de ceux qui avaient eu un problème de voix dans le passé avaient consulté.