Paganini vu par son médecin
Le portait de Paganini par le docteur Bennati
Une recherche bibliographique a mis sous nos yeux une pièce qui est probablement le seul document scientifique que nous possédions sur Paganini. Il s’agit d’une Notice physiologique sur le célèbre violoniste Paganini, lue à l’Académie Royale des Sciences de Paris.
Ce mémoire a pour auteur l’homme le plus qualifié pour l’écrire ; le propre médecin de Paganini, le Docteur Bennati ; il date de 1830, et il fourmille d’indications de nature à préciser notre vision du personnage. Nous devons dire toutefois que, tout en donnant une base réaliste à la reconstitution de la figure de Paganini, cette étude, à notre sens, ne diminue en rien son prestige. De tels documents équivalent souvent à des démolitions. Celui-là non.
Le Docteur Bennati ; il date de 1830, et il fourmille d’indications de nature à préciser notre vision du personnage. Nous devons dire toutefois que, tout en donnant une base réaliste à la reconstitution de la figure de Paganini, cette étude, à notre sens, ne diminue en rien son prestige. De tels documents équivalent souvent à des démolitions. Celui-là, non.
Le Docteur Bennati débute par un portrait minutieux de son sujet :
« Paganini, écrit-il, est pâle et maigre et d’une taille moyenne. Quoiqu’il ne soit âgé que de quantante-sept ans, sa maigreur et le manque de dents, en faisant rentrer sa bouche et rendant son menton plus saillant, donnent à sa physionomie l’expression d’un âge plus avancé. Sa tête volumineuse, soutenue sur un col long et maigre, offre, au premier aperçu, une disproportion assez forte avec ses membres grêles ; un front haut, large et carré, un nez aquilin fortement caractérisé, des sourcils arqués d’une manière parfaite, une bouche pleine d’esprit et de malice rappelant un peu celle de Voltaire ; des oreilles amples, saillantes et détachées, des cheveux noirs et longs, retombant en désordre sur ses épaules, et contrastant avec un teint pâle, donnent à Paganini une physionomie qui n’est pas ordinaire, et qui représente, jusqu’à un certain point, l’originalité de son génie.»
« On a dit à tort que l’expression de la douleur physique donnait aux traits de Paganini un caractère sauvage de mélancolie qui partait du chagrin de vivre. J’avoue que la fréquentation de Paganini ne m’a jamais donné une semblable idée de son caractère ; je l’ai toujours vu gai, spirituel, rieur même avec ses amis, se livrant avec son charmant petit Achille (son fils) à des jeux d’enfants.»
Or, comme il le dit ensuite, le Docteur Bennati vit depuis plus de dix ans dans l’intimité du virtuose et « aucune circonstance physiologique de son existence ne lui est étrangère ». Aussi entreprend-il une histoire pathologique de son illustre client dont les maladies furent nombreuses. De cette partie strictement médicale du mémoire, nous retiendrons ce fait, qui a dû avoir une influence sur la constitution du virtuose, à savoir qu’à quatre ans, à la suite d’une rougeole. Paganini tomba en catalepsie et qu’on crut mort pendant tout un jour. Il était déjà enveloppé du linceul lorsqu’un léger mouvement révéla aux assistants qu’il vivait encore.
Néanmoins, malgré les nombreuses maladies dont il souffrit, le Docteur Bennati estime que Paganini en 1828, était parfaitement sain, ce qui détruit la romantique légende du virtuose poitrinaire, fort accréditée alors.
Cela n’empêche pas le praticien d’insister beaucoup sur la maigreur anormale de son client en tant que disposition favorable à l’exercice de son art.
« D’une part, dit-il, le tissu cellulaire en recouvrant la pulpe de ses nerfs, les rendrait moins impressionnables et sympathisant moins, si je puis m’exprimer ainsi, avec les cordes de son violon ; de l’autre, l’embonpoint lui ôterait la faculté de donner à ses bras et à son corps les poses nécessaires à l’exécution des mouvements qui produisent les effets magiques qui nous transportent. »
Et, après une description détaillée des phénomènes d’extensibilité exceptionnelle de certains ligaments, et même en tenant compte des déformations dues à l’exercice, le docteur conclut que « pour arriver à être Paganini, ce n’était point assez de son génie musical, il lui fallait la structure physique qu’il présente ».
Et plus loin : « Tous ces avantages sont pour lui ce que l’organe de la voix est au chanteur ».
Le Docteur Bennati nous donne ensuite de précieux renseignements sur l’oreille de Paganini :
« Il est impossible d’avoir une ouïe plus fine que celle de Paganini. Il entend ce qu’on dit à voix basse à une distance très grande, et la sensibilité de son tympan est telle qu’il éprouve une véritable douleur lorsqu’on parle à haute voix près de lui et par côté ; il est obligé, alors, de se tourner exactement en face de l’interlocuteur. La sensation est beaucoup plus forte du côté de l’oreille gauche ; c’est celle qui correspond à la pose du violon. Le pavillon de son oreille est en effet, admirablement disposé pour recevoir les ondes sonores. »
Le mémoire contient encore une donnée fort curieuse ; le cervelet est énorme chez Paganini. Et le Docteur Bennati ajoute ce commentaire typique :
« Si un fait tout récent, communiqué à l’Académie par M. Magendie, ne prouvait incontestablement que l’on peut avoir toute l’intégrité de l’ouïe sans avoir le cervelet, un autre académicien, auquel la science doit plusieurs découvertes utiles pourrait se servir de l’exemple de Paganini pour corroborer ses idées sur les fonctions du cervelet. »
Il n’est personne qui ne connaisse au moins une anecdote romanesque ou fantastique sur Paganini ; mais le mémoire du Docteur Bennati est bien oublié. Pourtant, c’est à lui presque exclusivement qu’il faut recourir si l’on veut essayer de restituer la figure du grand violoniste en dehors de la légende inséparable de son nom.
Gabriel Bernard mars 1912 Musica