Maladies des chanteurs
Les maladies professionnelles du chanteur
Article paru la première fois en 1860 dans l'Encyclopédie de médecine
Les maladies professionnelles ne constituent un groupe distinct que lorsque la profession astreint l’individu à un exercice qui n’a pas lieu en dehors d’elle ou lorsqu’elle exige l’emploi d’agents physiques ou chimiques qui peuvent déterminer des accidents toxiques. Mais toutes les fois qu’un individu utilise pour l’exercice d’une profession une fonction qui nous est à tous indistinctement dévolue, elle peut subir des altérations plus ou moins fréquentes, plus ou moins intenses, sans que cependant ces altérations empruntent à la profession une forme suffisamment caractéristique pour constituer un type à part. Il en est ainsi pour le chanteur. Les maladies générales qui l’atteignent, et même les troubles locaux du larynx qui se rattachent directement à sa profession, se rencontrent sur tout autre individu. Nous essayerons seulement de déterminer dans quelle mesure le chanteur y est plus particulièrement exposé, quelles sont les formes d’affections qui l’atteignent le plus habituellement, et de quelle façon elles se manifestent.
On s’est demandé si la profession prédispose le chanteur à certaines affections des organes vocaux, ou si elle tend à l’en préserver. Plusieurs auteurs ont soulevé cette question non seulement au point de vue des affections purement locales du larynx, mais même pour les maladies diathésiques qui peuvent atteindre cet organe, les uns prétendant que l’exercice du chant favorise la tuberculisation du larynx, et les autres alléguant des affirmations en sens diamétralement opposé.
De part et d’autre on a cru pouvoir s’appuyer sur une statistique qui, à tout bien considérer, est beaucoup trop restreinte et trop établie approximativement pour être prise en sérieuse considération. Certaines convictions n’en ont pas moins pénétré jusque chez les artistes eux-mêmes, qui souvent se croient, par le fait de leur profession, les uns préservés d’affections graves du larynx, les autres très exposés à ces mêmes affections au sujet desquelles ils rentrent cependant, nous en sommes convaincu, dans les lois générales. Nous ne pourrions pas admettre en effet que l’exercice vocal, même le mieux compris, en ce qu’il exige simultanément l’exercice mélodique de tous les organes respiratoires, puisse empêcher ou retarder les maladies chroniques de ces organes. Le contraire ne nous semble pas mieux prouvé. Tout ce que l’on peut admettre, c’est que le chanteur de théâtre par les veilles, les fatigues, et parfois aussi par certaines habitudes de vie - extra-scéniques - peu régulières, et qui, sans aucun doute, peuvent avoir leur part dans l’éclosion d’une maladie diathésique sur un organisme prédisposé. Quant aux affections purement locales du larynx, il est certain que tout exercice immodéré de la voix peut contribuer à la produire ; mais nous ignorons pour la plupart d’entre elles la part d’influence du chant. Il n’est qu’une forme qui semble indubitablement s’y rattacher, c’est la laryngite glanduleuse ou granuleuse dite des orateurs, des prédicateurs, des chanteurs, etc ; et qui est presque toujours liée à une pharyngite de même nature, par laquelle elle débute le plus souvent.
Une description de cette affection a été donnée, à l’article Larynx de ce dictionnaire (Krishaber et Peter, serie II, t, I, 1869, page 126). Elle est en général fréquente et se rencontre sur des individus de toute profession et de tout âge ; voyons seulement ce que son évolution présente de plus particulier chez le chanteur.
Il est à remarquer d’abord que la pharyngo-laryngite glanduleuse n’atteint pas ordinairement en premier l’organe générateur du son, mais bien plutôt les organes en quelque sorte intermédiaires au pharynx et au larynx : les arythénoïdes et l’épiglotte. Il y a deux raisons pour cela, et elles sont étroitement liées l’une à l’autre ; la première, anatomique, consiste dans l’existence d’un nombre du cartilage aryténoïde et de l’épiglotte ; et la seconde, physiologique, se rattache au mode de respiration pendant l’émission du son.
A ce sujet quelques considérations sont nécessaires.
Pendant le silence, la respiration s’effectue à bouche fermée, par le nez ; l’air en traversant les fosses nasales se fractionne d’abord en deux colonnes, et ensuite se subdivise en traversant les méats, pénètre dans l’appareil accessoire des sinus, maxillaire supérieur, frontal, ethmoïdal, sphénoïdal, en traversant ainsi toutes ces cavités qui rappellent à l’état rudimentaire les grands réservoirs d’air de certaines classes d’animaux, ou tout au moins en se mélangeant avec l’air qui y est contenu. La quantité d’air inspiré par le nez en passant par ces anfractuosités, arrive au pharynx quelque peu réchauffé et humecté, et les particules de poussière ou de débris de toute autre nature suspendus dans l’atmosphère se trouvent en partie arrêtées avant de parvenir à l’entrée du larynx. L’air est ainsi approprié en quelque sorte à la nature particulièrement sensible des voies respiratoires qu’il est appelé à traverser. Mais ces conditions se trouvent complètement changées pendant l’exercice vocal. S’il est encore admissible que dans la conversation ordinaire l’inspiration puisse se faire par les narines, ce qui est exception, il n’en est déjà plus ainsi pour l’orateur chez lequel les phrases se succèdent trop rapidement pour cela. Quant au chanteur, il inspire nécessairement par la bouche ; le chant exige la prise d’une forte quantité d’air à la fois : l’air extérieur est aspiré avec rapidité, il arrive tel qu’il est, c’est-à-dire sec, froid et impur ; à l’entrée du larynx. Pour peu que l’exercice vocal se prolonge, la muqueuse que l’air extérieur frappe incessamment et directement se dessèche, les glandules qu’elle contient sont fortement sollicitées à la sécrétion, irritées à la longue ; il s’y produit d’abord de l’hyperémie, et pour peu que cet état subsiste ou se répète, une hypertrophie des glandules de la muqueuse. Nous avons dit plus haut que ces glandules sont particulièrement nombreuses dans la muqueuse des aryténoïdes et à la base de l’épiglotte, et on comprend aisément que c’est par ces points que commence l’invasion de la maladie des chanteurs qui, pour n’être pas grave au point de vue général, n’en conduit pas moins à la perte de la voix par extension de l’état morbide sur les cordes vocales elles-mêmes. Avant même que les cordes vocales soient atteintes, la voix se trouve altérée. On sait en effet que les aryténoïdes en se rapprochant pendant la phonation plissent la muqueuse interaryténoïdienne qui doit être mince comme elle l’est à l’état normal, pour permettre le rapprochement des cartilages ; mais l’hypertrophie glandulaire épaissit cette muqueuse dont la texture propre ne reste d’ailleurs pas étrangère au travail hyperplasique des glandes qu’elle contient ; les aryténoïdes sont alors entravés dans leur jeu par la membrane dense qui les sépare et les recouvre ; les cordes vocales inférieures ne se rapprochent pas suffisamment, et c’est ainsi que se produit le premier indice d’une voix compromise : la perte des notes élevées. Peu à peu les autres parties de la muqueuse laryngée se trouvent altérées dans leur nutrition, et lorsque les cordes vocales elles-mêmes participent à l’inflammation, la voix devient rauque ou au moins perd complètement ses vibrations sonores et harmonieuses. Comme dans cet état il se produit une sécrétion muqueuse plus qu’abondante, il se trouve que la voix est ordinairement plus altérée après un long silence qu’après l’émission des premiers sons qui est suivie du rejet de quelques mucosités. C’est pour la même raison que la voix de certains chanteurs est moins claire le matin qu’à tout autre moment de la journée.
Nous renvoyons le lecteur pour les détails de la pharyngo-laryngite chronique et pour tout ce qui concerne son traitement à notre article du Dictionnaire visé plus haut ; rappelons seulement encore ici que dans quelques rares cas l’examen laryngoscopique ne permet pas de reconnaître une lésion apparente sur une partie quelconque de la muqueuse ; il ne faudrait pas en conclure qu’il n’y a point de lésion, celle-ci pouvant exister sur la face inférieure des cordes vocales, invisibles sur le vivant, et qui, en effet, ont été trouvées envahies de glandules hypertrophiées dans les autopsies d’individus dysphones et ayant succombé à des maladies de tout autre nature.
Il n’est pas rare que la voix soit altérée par certaines affections du pharynx et du voile du palais sans participation directe du larynx ; c’est ainsi que l’hypertrophie des amygdales et le rétrécissement du pharynx qui en résulte donnent au chant un caractère guttural en changeant complètement le timbre de la voix ; l’ablation des amygdales peut devenir nécessaire dans ce cas.
L’inflammation du voile de palais, ou une entrave quelconque portée à ses libres mouvements, enlève à la voix la mieux organisée tout caractère mélodieux. L’hypertrophie de la luette, même plus circonscrite, a été accusée d’influence sensible sur la voix ; comme il est rare que cette hypertrophie ne coïncide pas avec quelque lésion de voisinage, il nous semble assez difficile d’établir la part que peut avoir la luette volumineuse sur les altérations de la voix. Nous n’avons guère observé les résultats si vantés de la section de la luette ; on peut se demander si la facilité toute particulière qu’elle offre à toute tentative opérative n’est pas pour quelque chose dans son ablation trop souvent pratiquée, suivant nous. Nous ne voyons, il est vrai, ni danger, ni inconvénient bien sérieux dans le raccourcissement d’une luette, même normale, mais le singulier abus qu’on a fait de cette opération sur les chanteurs nous conduit à exprimer l’avis bien naturel, ce nous semble, qu’il ne faudrait la pratiquer que lorsqu’il existe bien réellement une hypertrophie.
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