Les doigtés. Chronique d’un professeur de piano. N°4

Établir lors du déchiffrage, le meilleur doigté

Établir lors du déchiffrage, le meilleur doigté
Pour les élèves un peu plus avancés (deuxième année) nous déchiffrons en cours pour établir le meilleur doigté, c’est-à-dire celui qui s’adaptera à l’anatomie de la main. On recherche le placement de la main par groupes de deux, trois, quatre notes consécutives formant l’empreinte. Quand il y a doute sur un doigté, je conseille de jouer l’accord, ce qui place plus naturellement la main. Il est bon d’installer le doigté définitif assez rapidement mais souvent j’en propose deux à essayer quelques jours avant de se décider (il faut parfois s’approcher du tempo final pour trancher ce qui est impossible en déchiffrant). Le doigté retenu sera noté sur la partition (parfois une couleur aidera à mémoriser). Je garde pour principe de « doigter en fonction de la phrase musicale en faisant correspondre déplacement et respiration, ce qui n’est pas toujours un réflexe car déplacer insécurise . J’explique aussi que le doigté dépend de l’époque musicale et du style du morceau.
Petit à petit, je demande de chercher seul les doigtés, surtout sans s’accrocher à ceux de la partition, et de ne pas tout écrire. Il est parfois utile de remettre en cause la répartition des notes entre les mains : passer quelques notes à l’autre main peut permettre de débloquer une situation. Ces deux notions sont loin d’être une évidence tant le conditionnement du respect de l’écriture est grand, mais il ne faut pas le confondre avec le respect du texte musical. Pour convaincre je montre plusieurs éditions qui proposent des choix différents. Parfois, il faut modifier un peu le texte, surtout pour les petites mains : arpéger un accord ou supprimer une note. Mieux vaut être à l’aise physiquement pour la qualité sonore et musicale que de tout jouer scrupuleusement avec crispation et fatigue.

Reconsidérer le doigté
Enfin, quand un passage accroche toujours malgré le travail il ne faut pas hésiter à reconsidérer le doigté plutôt que s’acharner et répéter encore et encore. Dans ce cas, malgré la mémoire musculaire, cela ne pose pas de problème, le corps s’adaptant rapidement à ce qui lui convient le mieux. Cette recherche et collaboration avec l’élève est primoridale (parfois l’élève propose une solution que je n’avais pas envisagée). Elle suscite au début de l’étonnement…
A certains on n’a jamais laissé le choix du doigté : soit il est imposé par le professeur et gare à celui qui s’en écarte, soit il est considéré comme secondaire laissant l’élève seul face à sa partition. Bien doigter suppose d’avoir compris la structure de la phrase et du texte. Ce qui a été bien pensé sera plus vite mémorisé donc, au final, ce sera un gain de temps. Une partition bien préparée sera plus facilement assimilée. Tout ce travail mental de compréhension, d’intériorisation est primordial, il peut très largement être entrepris en cours, l’élève n’ayant plus chez lui qu’à mûrir le processus, le répéter et jouer vraiment, ce qui est la partie la plus attrayante et la moins fatigante.
Doigter seul est classiquement un objectif à atteindre. Certains élèves refusent cette autonomie soit parce que ce travail demande trop d’investissement, soit parce que c’est une façon de justifier la nécessité de continuer les cours. Je le respecte et, contrairement à d’autres professeurs, je ne fais pas de l’autonomie une priorité. On a le droit de prendre des cours de piano très longtemps voire toute sa vie, dans ce cas le cours est plus qu’un lieu d’apprentissage, il fait partie de son équilibre de vie, de son quotidien… c’est un autre aspect de la pratique instrumentale qu’il faut envisager.
Je laisserai la conclusion à Claude Debussy qui écrivait : « Les présentes études ne contiennent aucun doigté, en voici la raison : imposer un doigté ne peut logiquement s’adapter aux différentes conformations de la main. La pianistique moderne a cru résoudre cette question en en superposant plusieurs ; ce n’est qu’un embarras. La musique y prend l’aspect d’une étrange opération où par un phénomène inexplicable, les doigts se devraient multiplier… […] L’absence de doigté est un excellent exercice, supprime l’esprit de contradiction qui nous pousse à préférer ne pas mettre le doigté de l’auteur…cherchons nos doigtés ».

Rédactrice : Patricia Cousin. Professeur de piano
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Texte extrait du mémoire réalisé dans le cadre du diplôme Médecine des arts®


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