Le son, le legato, la polyphonie. Chronique d’un professeur de piano N°7
Le travail polyphonique
Vient ensuite le travail polyphonique (à plusieurs voix). On a seulement deux mains, mais on peut jouer à deux, trois, quatre, voire cinq voix, chaque main jouant donc deux ou trois voix ; et une voix pouvant être partagée entre les deux mains : un véritable casse-tête parfois ! Il faut faire de ces deux mains une seule main qui joue une seule musique. Le pianiste Michelangeli parlait d’une seule main à dix doigts… La première référence qui vient à l’esprit en matière de polyphonie, ce sont les fugues de Bach (à deux, trois, quatre, cinq voix). Elles sont assez courtes mais très complexes à travailler et à mémoriser. « L’écriture de Bach inclut une pléiade de retards, échappées, appogiatures, anticipations, ornements, qui n’est parlante qu’avec une parfaite compréhension de la conduite des voix. […] On ne peut pas compter seulement sur les automatismes digitaux dans l’exécution d’un Bach car ce sont les impératifs de l’écriture qui créent les formules instrumentales et non les réflexes digitaux qui engendrent les traits instrumentaux, comme ce sera le cas plus tard avec Chopin, par exemple » (revue piano n°13).
De ce fait, la musique de Bach est souvent peu appréciée des élèves car difficile à aborder et à mémoriser. Je ne l’impose pas et fait davantage travailler à partir de Chopin, Schumann, Brahms, Debussy. Le travail polyphonique y est plus parlant, l’aspect mélodique plus évident. Les pièces de Schumann (Scènes d’enfants, Scènes de la forêt), de Brahms (les danses, les intermezzos), de Debussy (Children Corner, les Arabesques, le Clair de lune) sont assez simples avec un travail polyphonique important mais plus aisées à mémoriser grâce au chant ou à la mémoire digitale.
Dans les Nocturnes de Chopin, toujours très appréciés des élèves adultes, l’accompagnement doit être considéré « comme l’enchaînement de voix multiples qui s’entrecroisent en créant de subtils contre-chants, des rythmes cachés dans les diverses voix. » (revue piano n°21). Une autre façon de travailler la polyphonie, moins rébarbative !
Cet aspect de la technique reste un travail de patience à la portée des adultes qui sont plus enclins à l’approfondir que les enfants ou les jeunes adultes, plus attirés par le côté physique de l’instrument. Cette phrase de Youri Borissov correspond assez bien à l’état d’esprit des jeunes : « Dans la 32e Sonate de Beethoven, il faut se jeter sur le piano comme un possédé sans prendre le temps de s’asseoir ! L’Homme et le piano… c’est un conflit insoluble, shakespearien ».