Le chef d’orchestre sert-il vraiment à quelque chose ?

Le chef d’orchestre et les musiciens, une communication subtile

Pour Yiannis Aloimonos [1], de l’Université du Maryland, un des chercheurs : « Vous avez en premier lieu un signal qui émane du chef d’orchestre, parce qu’il déplace ses mains et son corps et ensuite les instrumentistes perçoivent le signal et créent ensemble un nouveau signal en déplaçant leur archet de manière adaptée. Vous avez donc une sorte de conversation sensori-motrice ».
Ce chercheur travaille plus globalement sur le langage et le mouvement ; il cherche à comprendre si des mouvements humains partagent quelque chose de commun avec la langue ; il pense que langage et mouvement sont non seulement dirigés par une grammaire, mais que tous deux fonctionnent sur le plan neuronal et cérébral sur des processus similaires. L’analyse des données a permis à Aloimonos et son équipe de constater que c’est bien le chef d’orchestre qui conduit l’orchestre. Le mouvement du chef d’orchestre est bien prédicteur des mouvements des violonistes et non l’inverse. Les musiciens organisent leur prestation selon les messages moteurs non linguistiques reçus des autres musiciens et du chef d’orchestre. Ces données ont permis également à Aloimonos de préciser que lorsqu’on compare deux chefs d’orchestre, un chef très expérimenté et un chef peu expérimenté, amateur, menant le même orchestre, « plus l’influence du chef sur les instrumentistes était prégnante, plus esthétique et esthétiquement satisfaisante était la musique en général ».

La communication n’est pas unidirectionnelle ; les chefs d’orchestre reçoivent le retour d’information continu des musiciens, comme les musiciens sont fortement sous l’influence d’autres musiciens dans leur propre section.
Ces chercheurs ont relevé que l’appréciation esthétique de la musique était associée à la fois à l’augmentation de l’influence du chef d’orchestre sur le musicien, et à une réduction du flux d’information de musicien à musicien. Tandis que la simple augmentation de la conduite du chef d’orchestre pourrait être préjudiciable à la qualité perçue si elle n’est pas suivie par une réduction de l’interrelation entre les musiciens. Informations auditives et motrices sont intégrées par les spectateurs/auditeurs afin de produire une sensation musicale complexe. « Les orchestres peuvent ainsi former le modèle parfait d’une interaction sociale non verbale complexe et esthétique ».

A côté des compétences techniques, un orchestre fructueux pourrait être le résultat d’instrumentistes et d’un chef qui auraient construit des modèles efficaces de l’action de l’autre. Ces modèles « d’action de l’autre » doivent contenir toutes les informations pertinentes envoyées par les autres participants. Le chef communique certainement des informations de base comme le chronométrage (choix de l’attaque) aussi bien que des informations de plus haut niveau concernant l’interprétation elle-même. Le but partagé de l’orchestre n’est pas l’exécution parfaite d’un passage technique mais est plutôt orienté vers l’interprétation spécifique d’une pièce musicale.

Les mécanismes qui caractérisent une conversation sensori-motrice réussie exigent que tous les participants puissent envoyer et recevoir des messages visuels subtils sous forme de gestes moteurs visuels et d’événements auditifs. Ce processus pourrait s’organiser au niveau le plus élevé sur le plan cognitif. Un circuit similaire à ceux mis en jeu dans les neurones miroirs pourrait dans ce type de communication être concerné. Ces neurones sont dits « miroirs » parce que l’action observée semble reflétée, comme dans un miroir, dans la représentation motrice de la même action chez l’observateur. « La perception d’une action active dans le cerveau de l’observateur une représentation similaire à celle qu’il aurait formée s’il avait lui-même exécuté cette action [2] [3]
Cette étonnante correspondance entre percevoir et agir est décrite sous le terme de représentations partagées [4] et/ou de résonance motrice [5] »
La synchronie est à la base des musiques d’ensemble, des pratiques chorales, et l’étude des pratiques musicales pourrait représenter ainsi un modèle particulièrement pertinent pour étudier de tels mécanismes cérébraux.
Il n’y a pas de question simple, mais simplement des personnes sans curiosité.

Rédacteur Docteur Arcier André, président fondateur de Médecine des arts®
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Bibliographie

[1] D’Ausilio A, Badino L, Li Y, Tokay S, Craighero L, et al. (2012) Leadership in Orchestra Emerges from the Causal Relationships of Movement Kinematics. PLoS ONE 7(5) : e35757. doi:10.1371/journal.pone.0035757
[2] Berthoz, A. (1997). Le sens du mouvement. (Odile Jacob ed.).
[3] Jeannerod, M. (1994). The representing brain : Neural correlates of motor intention and imagery. Behavioral and Brain Sciences, 17, 187.
[4] Jeannerod, M. (1994). The representing brain : Neural correlates of motor intention and imagery. Behavioral and Brain Sciences, 17, 187.
[5] Rizzolatti, G., Fogassi, L., & Gallese, V. (2001). Neurophysiological mechanisms underlying the understanding and imitation of action. Nature Reviews Neuroscience, 2, 661-670.


 

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