La médecine du temps de Mozart. Les systèmes médicaux. Tome 5

Les cliniciens

Au 18ème siècle, les progrès dans les domaines du diagnostic et de la thérapeutique sont bien moindres que ceux réalisés dans le cadre des sciences expérimentales (60) (83). Thomas Sydenham ( 1624-1689), un des plus grands cliniciens du XVIlème siècle, faisait déjà part de ses craintes quant à l’avenir de la médecine clinique en ces termes : « L’anatomie, la botanique ? Balivernes ! …Non, jeune homme, portez-vous au chevet des malades ; c’est là seulement que l’on apprend à connaître la maladie. » (27) Fidèle aux idées d’Hippocrate, pour lui « la nature guérit les maladies ». Les remèdes ne contrecarrent pas la nature mais la secondent dans son effort vers la guérison, contrairement aux remèdes spécifiques (comme le quinquina) qui corrigent la maladie (27). Ardent défenseur de l’observation et de l’expérience, il fut praticien avant tout et nous a laissé de remarquables descriptions sémiologiques de nombreuses maladies (dont la goutte, les fièvres intermittentes et continues, la petite vérole, l’affection hystérique, etc.) dans son ouvrage de « Médecine pratique » (99). Il accorde une grande importance à la thérapeutique et entend trouver et appliquer des remèdes qui agissent dans tous les cas possibles (42). Il s’intéresse ainsi au traitement des maladies infectieuses, manie le premier le quinquina dans les fièvres palustres , répand l’usage des calmants et est connu pour son « laudanum », puissant tonicardiaque. Il établit également une nosologie, où il distingue les affections aiguès des affections chroniques. On peut véritablement considérer Sydenham, avec Morgagni, comme un des chefs de file de la médecine pratique (42). Bien qu’adepte des principes d’Hippocrate, il critique ses confrères qui vouent une obéissance aveugle aux Anciens. Pour lui, les progrès de la médecine doivent s’inscrire dans une médecine d’observation, axée sur les symptômes qui, seuls, permettent de définir ou de classer la maladie. La constatation des lésions anatomiques après la mort n’a qu’une importance secondaire.

De même, à la fin du XVIIème siècle, Boerhaave (1668-1738) était réputé comme étant le meilleur praticien d’Europe en son temps. Héritier d’Hippocrate, son souci exclusif est de guérir, en dehors de toute considération théorique, bien qu’il s’apparente aux « mécanistes ». Ses observations anatomo-cliniques sont d’une objectivité stricte, tout comme son enseignement. Son influence fut grande, et il forma de nombreux disciples au cours du XVIIIème siècle, où l’importance accordée à l’observation clinique va donner le jour à des progrès dans le domaine de la pathologie, qu’il convient de mentionner (27). Ainsi, Gérard Van Swieten (1700-1772), élève de Boerhaave, médecin à la cour de Marie-Thérèse, est l’un des fondateurs de la grande école viennoise. Il est le premier à prendre conscience que l’administration du mercure dans la syphilis doit être faite à faible dose. On lui doit la « liqueur de Van Swieten », préparation mercurielle originale. Vienne, centre d’échanges étroits avec l’Allemagne en pleine évolution, se prêtait au développement d’une école médicale susceptible de concurrencer les grandes facultés européennes. La « vieille école viennoise » regroupait sous son aile des médecins de valeur tels que Stoll, Auenbrugger, Van Haen, etc. (27) Médecin viennois, Max Stoll (1742-1788) ne prête aucune attention aux systèmes, mais s’intéresse plutôt à l’observation et à la description des maladies. Il se penche en particulier sur les maladies biliaires, bases d’une théorie selon laquelle les maladies sont influencées par un principe actif révélé dans une anomalie de l’excrétion de la bile. Il est le premier à utiliser la percussion, méthode inventée par Auenbrugger qui inaugure les progrès en sémiologie clinique que connaîtra le 19ème siècle avec Laennec. Antoine Van Haen, quant à lui, introduisit en clinique l’usage systématique du thermomètre. (27)

En Allemagne, sous l’influence de la prestigieuse école viennoise, Werlhof (1699-1767) découvre le purpura hémorragique et se penche sur les fièvres intermittentes. Hensler étudie la lèpre et la syphilis. L’hydrothérapie est encouragée par Sigmund Hahn. Zimmermann traite de la dysenterie . L’ophtalmologie connaît un grand développement, sous l’influence de Joseph Beer. En Angleterre, Sir Percival Pott (1714-1788) et Jean-Pierre David (1737¬1784) en France isolent l’atteinte tuberculeuse de la colonne vertébrale. John Pringle étudie la dysenterie épidémique. John Huxham s’intéresse aux exanthèmes aigus, ainsi que Mis Rosen von Rosenstein qui reconnaît l’ergotisme et publie un des premiers traités de pédiatrie. Toujours en pédiatrie, Underwood formule les principes de l’allaitement maternel. Desessartz publie son célèbre « Traité de l’éducation corporelle des enfants de bas-âge ». Le premier établissement hospitalier pour enfants sera créé à Vienne en 1787. William Hunter (1718-1783), célèbre par sa collection anatomique et ses travaux sur les vaisseaux lymphatiques, et surtout son frère John, l’auteur de la doctrine de l’inflammation, ont fait d’excellentes observations sur les anévrismes. John Hunter (1728-1793) s’intéressa également de très près aux maladies vénériennes, parmi lesquelles on ne distingue pas encore la blennorragie de la syphilis. Il entreprit de résoudre la question de la dualité ou de l’unité, à ses dépends. Le traitement de la syphilis, à base de mercure, se répand déjà sous de nombreuses formes : de la liqueur de Van Swieten au « rob syphilitique ». Toujours en Angleterre, On doit à William Withering (1741-1799) l’emploi et la vulgarisation de la digitale. En Italie, Borsieri et Sarcone étudient les fièvres éruptives infectieuses, alors que Vogel et Heberden isolent la varicelle. Anne-Charles Lorry publie en 1777 le premier traité de dermatologie. Mais tous ces progrès dans des domaines aussi variés ne permettent pas de créer un ensemble cohérent, ni de dresser un aperçu de la pathologie médicale. On connaît encore trop peu les maladies pour pouvoir les grouper en disciplines.

Seule exception à cette règle : le domaine de la cardiologie, fort de la découverte de la circulation au siècle précédent. La cardiologie ne s’annonce réellement qu’à partir du début du XVIIème siècle, avec Albertini, de Bologne, qui décrit le retentissement de l’insuffisance cardiaque sur l’appareil respiratoire, puis Vieussens qui étudie les lésions anatomiques valvulaires. La description des anévrismes fit l’objet de nombreuses études, notamment par Morgagni qui fut un des premiers à caractériser l’angine de poitrine. Heberden, en 1768, en donne une description magistrale devant la Royal Society de Londres. Auparavant, Sénac, dans son « traité de la structure du coeur, de son action et de ses maladies », en 1749, marque la naissance effective de la cardiologie. Dans le domaine des maladies thoraciques, Corvisart (1753-1821) crée une sémiologie cardiaque permettant de différencier les maladies du coeur de celles des poumons. Il fut le premier à donner une explication mécanique de l’insuffisance cardiaque, et à décrire la dyspnée d’effort. Sous sa direction, Horeau rédigea le « Traité des maladies du coeur ». La science de la neurologie encore appelée « phrénologie » (ou science de la connaissance du cerveau), ne fera de sérieuses avancées qu’au début du 19ème siècle. (27)

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