Hamlet (Opéra)
La partition d'Ambroise Thomas
La partition de M. Ambroise Thomas, comme toutes les œuvres d’un mérite supérieur, gagne à être lue après avoir été entendue. Nous ne pouvons qu’en indiquer sommairement les principaux morceaux. La marche du couronnement et le chœur inaugurent le premier acte d’une manière grandiose. Les récitatifs portent l’empreinte d’une mélancolie profonde, quelquefois un peu morbide ; beaucoup de phrases ont un charme pénétrant. Dans le duo déjà célèbre entre Ophélie et Hamlet : Doute de la lumière, la phrase principale est d’une inspiration chaleureuse et les arpèges qui l’accompagnent en augmentent encore l’effet. Dans la scène de l’esplanade, le compositeur a fait l’usage d’instruments de cuivre récemment perfectionnés par M. Sax, et dont la sonorité, un peu lugubre, convenait bien à une apparition spectrale. Toute la scène est admirablement traitée. Dans le deuxième acte, nous rappelons le poétique et naïf fabliau d’Ophélie, l’arioso chanté par la reine : Dans son regard plus sombre, est celui que je préfère, à cause de l’ampleur et de l’unité du style ; le chœur pittoresque des comédiens : Princes sans apanages ; la chanson bachique ; la marche danoise et le mélodrame. Le troisième acte renferme un trio excellent, dont la phrase de baryton : Allez dans un cloître, Ophélie, est bien caractérisée. Le duo scénique entre Hamlet et sa mère était la pierre de touche pour le compositeur. Il s’est élevé à la hauteur d’un tel sujet. La force de l’expression dramatique ne le cède en rien à la parfaite possession des moyens musicaux mis en œuvre. Il fallait être un maître d’une expérience consommée pour se tirer aussi victorieusement d’une situation si périlleuse. La Fête du printemps, qui ouvre le quatrième acte, les romarins et les pervenches que distribue Ophélie à ses compagnes, son genre de mort au milieu des joncs, des nénufars en fleur, tout cela forme un contraste un peu forcé avec les frimas du premier acte et les effets de neige sur les tours du château d’Elseneur. L’action a donc duré six mois. Rien ne l’indique dans le poème, mais passons.
Le quatrième acte a décidé, dit-on, le succès de l’opéra, tant il a plu au public, et à cause du charme personnel de Mlle Nilsson, et de son interprétation poétique du rôle de la blonde Ophélie. Les décors du lac Bleu, une mise en scène qui fait aussi beaucoup d’honneur à M. Coleuille, tout cela a pu contribuer à la vogue dont ce quatrième acte a joui ; mais ce sont là, il faut en convenir, des causes extra-musicales ; elles ne nous touchent que médiocrement. J’insisterai sur l’expression de l’andante chanté par Ophélie : Un doux serment nous lie, sur le rythme de la valse chantée ; Partagez-vous mes fleurs, sur l’originalité de la ballade dont la mélodie est continuée par un chœur invisible de Willis, à bouche fermée, pendant la disparition de la jeune fille dans les flots du lac Bleu. Toute cette scène est d’un musicien poète, et n’a pas besoin pour réussir de l’idolâtrie des gens du monde pour la cantatrice qui a eu la bonne fortune d’en être l’interprète. Nous avons dit ce que nous pensions de la présence des fossoyeurs au cinquième acte. C’est un tableau de Courbet. Les oreilles ne sont pas plus satisfaire que les yeux par leur mauvais plain-chant. M. Ambroise Thomas, comme M. Gounod dans la ballade du roi de Thulé, a cru que, pour écrire dans la tonalité du plain-chant, il suffisait de supprimer la note sensible et même d’introduire l’intervalle de triton. C’est une erreur. Le sol naturel, dans l’échelle de la mineur, ne peut produire son effet plagal qu’autant que la mélodie sera formée des notes de la quarte au-dessous de la tonique et de la quinte au-dessus. Nous n’avons que de l’admiration pour le récit et l’air d’Hamlet : Comme une pâle fleur ; c’est un cantabile d’une grande tristesse. La marche funèbre et le chœur des jeunes filles ont un beau caractère. Si on ajoute à la composition idéale si intelligente, si poétique de cet ouvrage, un coloris instrumental puissant et varié, une richesse de combinaisons qui apparaît à chaque audition plus intéressante encore, on reconnaîtra que l’opéra d’Hamlet a conquis sa place au rang des premiers ouvrages du répertoire. Le rôle d’Hamlet a été chanté avec distinction et talent par Faure ; ceux de la reine et d’Ophélie, par Mme Gueymard et Mlle Nilsson. Les autres rôles ont été créés par Belval, Colon, David, Grisy, Castelmary, Ponsard, Gaspard et Mermant. La partition a été réduite au piano par M. Vauthrot.
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