Musique des couleurs et audition colorée

Synthétisant en une seule extase symbolique un son, un contact et une vision, le récitant du Martyre de Saint-Sébastien déclame sur la musique de Debussy : « C’est comme si je secouais le givre d’étoiles sonores » De telles « correspondances » à la manière de Baudelaire et de Rimbaud ont suggéré, soit à des symbolistes, soit à des savants, l’espoir d’arts synthétiques, nouveaux, fondés sur les analogies des vibrations de longueurs d’ondes très diverses, qui fondent la diversité de nos sensations, surtout celles de la vue et de l’ouïe.

Depuis le père Castel au XVIIIe siècle, on a souvent construits des claviers complexes, qui font à la fois entendre un son et voir une couleur adaptée à ce son suivant une loi. Passant des éléments aux ensembles, on a joué des symphonies « accompagnées » de projections lumineuses dont les variations de lumières et de couleurs étaient censées traduire les nuances de l’orchestre.

Quelques-unes de ces associations reposent sur des analogies de structures non douteuses. Clair, sombre, noir, correspondent spontanément à forte, piano, silence,. Ce sont deux formes de dynamismes sensiblement parallèles. Mais à mesure que ces correspondances deviennent plus qualitatives que quantitatives, l’arbitraire subjectif et métaphorique les discrédite.

C’est le cas de « l’audition colorée », qui consiste dans l’évocation d’une couleur déterminée – qualité pure, sans forme aucune -, à l’audition d’un son, le plus souvent d’une voyelle. Mais ces associations sont assez rares et varient d’un individu à l’autre : elles ne peuvent s’organiser sérieusement. S’il y a maintes analogies mathématiques et physiques entre les vibrations sonores et lumineuses. Il y a beaucoup moins de ressemblances entre les structures physiologiques et psychologiques qui nous les traduisent selon leurs « énergies spécifiques » : l’œil et l’oreille, les centre visuels et auditifs du cerveau sont différents. D’où certaines divergences inconciliables. Quand on superpose un bleu et un jaune, ils disparaissent au profit d’un vert intermédiaire s’ils sont pigmentaires ou impurs, d’un gris s’ils sont spectraux ou purs. Tandis que l’accord do-mi ne donne nullement le ré intermédiaire, mais laisse entendre distinctement les deux sons, ou confusément ils fusionnent dans une oreille mal douée, ou dans un timbre rebelle à l’analyse. D’autre part, certaines métaphores sont toutes verbales. Des sons « cuivrés » peuvent évoquer la couleur du cuivre. Mais ce métal n’entre pour rien dans ce timbre, qui est dû aux accessoires et aux formes de tuyaux construits en n’importe quelle matière. L’audition colorée semble n’être qu’un fait d’irradiation exceptionnelle des centres de l’audition jusqu’à ceux de la vision diffuse (mais non à ceux de la structure visuelle des formes). Vibration par influence à sens unique, car on connaît très peu de « visions sonores », sinon à titre de simples métaphores : comme lorsque l’on parle de couleurs bruyantes, chantantes, mélodieuses, ou de taches dissonantes.

La rhétorique a coutume d’emprunter ses « figures » à toutes les sensations indifféremment, sans qu’on puisse en tirer de conséquences ou d’application importantes : on dit d’un timbre qu’il est chaud, froid, mou, dur, rugueux ; d’une modulation, qu’elle est insipide, fade, ou amère, piquante, savoureuse, sans prétendre que la musique soit tactile ou gustative pour autant.

La musique, des origines à nos jours. Larousse, 1946

Médecine des arts® est une marque déposée. Copyright médecine des arts©

Médecine des Arts®    
715 chemin du quart 82000 F-Montauban
Tél. 05 63 20 08 09 Fax. 05 63 91 28 11
E-mail : mda@medecine-des-arts.com
site web : www.medecine-des-arts.com