Jean-Jacques Rousseau, la cause de sa mort
SI la vérité tenait à une cheveu ?
Les causes de la mort des artistes célèbres deviennent un mystère lorsque celles-ci sont mal documentée ou simplement inconnues à l’époque du décès. Il en est ainsi de la majorité des décès pour des causes de maladie antérieure au XXe siècle voire après.
Les articles faisant l’objet d’hypothèses sont d’autant plus nombreux que l’artiste est resté célèbre à travers le temps et donc les causes de décès réservent toujours des surprises au fil du temps et de l’évolution des connaissances scientifiques et des méthodes d’investigation, notamment génétique.
Cela tient à un cheveu
Le 27 avril 2015 se vendait aux enchères chez Christie’s un manuscrit de Jean-Jacques Rousseau. Ce n’est pas un simple manuscrit, ce qui serait déjà beaucoup, car un cheveu adhère à la reliure. Alors les esprits des chercheurs s’éveillent : et si l’ADN du cheveu correspondait à celui du squelette du génial écrivain, musicien et philosophe qui repose au Panthéon ? Peut-être la solution de l’énigme de la mort de Jean-Jacques Rousseau est-elle inscrite dans ce cheveu.
La mort de Jean-Jacques Rousseau à l’âge de 66 ans a été relativement soudaine. Nous sommes le 2 juillet 1778 ; à cette période, Jean-Jacques Rousseau réside à Ermenonville et il vient de prendre son petit-déjeuner. Il ne sent pas bien et est pris de malaise. Il tombe massivement sur le sol et se blesse le visage. C’est son épouse Thérèse Levasseur qui le saisit dans les bras, l’assoit dans un fauteuil et constate qu’il est mort.
Le Marquis de Ségur de l’Académie Française fait un récit détaillé de la fin du philosophe. Cette description a été faite le 1er décembre 1913.
La fin du philosophe
« Nul ne pensait, d’ailleurs, que cette fin fût si proche. Sans doute Jean-Jacques avait beaucoup vieilli, se disait souvent fatigué. Les derniers jours de juin, il se plaignit à diverses reprises de maux de têtes, d’étourdissements. Comme, cependant, son humeur restait gaie, qu’il mangeait de bon appétit et ne changeait rien à sa vie, on n’éprouvait pas d’inquiétudes. Le mercredi 1er juillet, ayant pris pour son déjeuner des fraises avec du lait, il se sentit un peu « incommodé » ; au cours d’une excursion qu’il fit avec « son petit gouverneur », il dut s’arrêter plusieurs fois, dans la crainte de tomber. Le lendemain, 2 juillet, il semblait à peu près remis. Il fit, comme de coutume, une promenade matinale, rapporta des graines et des herbes pour « le déjeuner du serin », ainsi qu’il le dit à sa femme, puis s’attabla lui-même, pour prendre son café, avec Thérèse et la servante. Ce fut à ce moment qu’il se plaignit soudain d’un grand et douloureux malaise, comme s’il avait, expliqua-t-il, reçu quelque « coup sur la tête ». Il se mit dans son lit, dont il ne devait plus sortir.
Il semble que dès lors, sans éprouver de vives souffrances, il ait eu la nette intuition que le cas était sans remède et la fin imminente. Il enjoignit, en effet, à Thérèse de bien fermer à clé la porte de la chambre, afin que personne n’y entrât, car il ne voulait recevoir « médecin ni chirurgien » ; puis il fit ses recommandations dernières, l’exhortant à la charité, à la résignation, lui conseillant de se confier à la protection du marquis, ce « parfait honnête homme ». Il eut ensuite un léger retour théâtral : « Ma bonne amie, s’écria-t-il, ouvrez la croisée : l’air est si pur et si serein ! Que je voie encore une fois le soleil ! Il me semble que je voie les cieux ouverts ! » Quelques instants plus tard, il prit une cuillerée d’eau des Carmes, qui amena quelque soulagement, puis une gorgée de « bouillon blanc » ; mais il rendit la tasse, en disant à Thérèse : « Mon coeur ne peut plus rien supporter. » Il fit, en même temps, un effort pour se lever du lit ; aussitôt il roula de son long sur le plancher. Thérèse le saisit dans ses bras, le mit dans un fauteuil ; il ne fit nul mouvement, et elle comprit qu’il était mort. Tous les vésicatoires du monde, qu’on lui appliqua tardivement, ne purent le ranimer. Il était dix heures du matin.
Ainsi mourut Rousseau, sans fracas, sans incidents, sans drame. Les bruits, accrédités plus tard, de meurtre ou de suicide ne sont donc que de vaines légendes ; ils ne sauraient tenir devant les témoignages des gens appelés dès le premier moment, parmi lesquels René de Girardin lui-même. Au reste, le lendemain, à l’ouverture du corps, qui eut lieu en exécution de l’ordre formel de Rousseau, les chirurgiens présents constatèrent dans le crâne un épanchement considérable, indiquant une attaque d’apoplexie séreuse. Quelques heures avant autopsie, Houdon avait pu prendre un moulage de la face, qui lui servit pour faire un buste, destiné au marquis.
Le samedi 4 juillet, on embauma le corps, on l’enferma dans le cercueil, et, quand sonna minuit, on le porta dans l’île des Peupliers. Les paysans, torches en mains, éclairaient les rives de l’étang, tandis que la barque funèbre glissait lentement sur la moire silencieuse des eaux. Un petit monument, fait de sable et de chaux – un tombeau surmonté d’une urne – fut improvisé sur l’heure même, d’après le plan dressé par Girardin, qui, jusqu’à trois heures du matin, demeura pour veiller à l’exécution de son oeuvre. Ce tombeau provisoire fut remplacé un peu plus tard par un mausolée plus orné, dessiné par Hubert Robert.
L’étang d’Ermenonville et l’île des Peupliers devinrent, dès les premiers moments, un lieu de pèlerinage. Tous les plus grands seigneurs y accoururent apporter leur hommage. Louis XVI et Marie-Antoinette eux-mêmes y vinrent, le 14 juin 1780, et cette visite royale déchaîna un grand enthousiasme. Mais, si les mânes du philosophe furent fidèles aux principes que professait celui qui dormait dans la tombe, ces honneurs officiels durent moins lui plaire que le souvenir d’une vieille femme du village, jadis secourue par Rousseau, qui, chaque jour, son chapelet en main, se rendait au bord de l’étang et priait pour son bienfaiteur. « Pourquoi priez-vous pour M. Rousseau, qui n’était pas catholique ? lui demandait un indiscret. – Je n’en sais rien, répondit-elle. Tout ce que je sais, c’est qu’il m’a fait du bien. »
Et Jean-Jacques eût non moins goûté cette naïve et simple mention inscrite dans son livre de comptes par Nicolas Harlet, le bon magister du village : « Aujourd’hui, 2 juillet, est mort à Ermenonville, Jean-Jacques Rousseau, en son vivant grand philosophe. » Après quoi, il mentionne l’achat et le prix d’un lapin. »[1]
Bibliographie
[1] Marquis de Segur. Lectures pour tous, 1er décembre 1913, pp. 409-416.