L’art du chant ou les dix conseils de la chanteuse Mainvielle-Fodor
Bon maître, Bons conseils
1. Professeur sans science, ruine la santé de l’élève
L’exemple que nous allons citer sera (nous l’espérons) une sauvegarde pour les personnes qui se livrent à l’étude du chant , soit comme délassement, soit comme profession.
Le temps, ce grand producteur et destructeur de toutes choses, ne nous a pas épargnée ; nous osons donc dire aujourd’hui, sans crainte d’être accusée de vanité, que la nature, prodigue envers nous, nous avait dotée d’une voix sans égale.
Encore enfant et à l’âge où l’on ne devrait pas même essayer à chanter (nous avions huit ans), nous habitions la Russie ; notre résidence était située dans le département d’Orel, à quinze cents verstes de Moscou ; nous y avions été appelée par le prince Alexis Kourakin, qui avait réuni, dans cette campagne, tous les maîtres nécessaires à l’éducation de ses enfants.
Pour notre malheur, le maître de chant, Edouardo Bianchi, ne fut pas oublié ; deux heures de leçons, données tous les jours aux deux princesses, ne suffisaient pas pour occuper les loisirs del signor maestro ; il chercha d’autres élèves ; les serfs du prince, auxquels le travail des champs est seul permis, lui offraient peu de ressources ; il en trouvait encore moins chez les propriétaires du voisinage, dont l’habitation la plus rapprochée était située à cinquante verstes de la nôtre. La fille de M. Fodor, déjà musicienne et touchant passablement le piano, était une bonne fortune pour M. Bianchi ; il demanda et obtint l’autorisation de nous donner des leçons ; mais quelles leçons, grand Dieu ! S’entendre répéter : Ouvrez la bouche davantage, chantez plus fort, encore plus fort ; là se bornait toute la science de notre professeur. Ouvrir la bouche et crier, ces mots retentissent encore à notre oreille ; il nous obligeait à chanter de grands airs ornés de vocalises impossibles ; jamais un avis sur la manière de poser, d’augmenter, d’adoucir ou de lier les sons, de prolonger la respiration.
On ne sera pas surpris d’apprendre qu’après trois années de ce travail forcé nous perdîmes non seulement la voix, mais aussi la santé ; l’irritation produite au larynx par ces exercices, se prolongea dans de telles proportions, qu’à l’heure où nous écrivons nous ressentons encore ses atteintes, qui nous obligèrent à quitter la scène à l’époque la plus brillante de notre carrière.
De retour en France, un repos très prolongé, des soins assidus, avaient ramené la santé, la voix et par conséquent le désir d chanter ; mais comment chanter à Paris lorsqu’on n’a que de la voix et pas de méthode ?
2. Bon maître, Bons conseils
Le hasard nous fit rencontrer le célèbre chanteur Lazerini, premier ténor du théâtre de S. M. l’Impératrice Joséphine ; nous lui demandâmes s’il voulait être assez bon pour nous donner ses précieux conseils : « Petite (nous dit-il), ze veux vous entendre, ze n’ai pas de temps à perdre et ze ne prends que les élèves de mon choix. »
Notre voix, encore assez belle, très juste et très étendue, notre intonation irréprochable, furent des qualités que recherchait cet excellent professeur, auquel nous devons tout le bonheur et les succès qui peuvent embellir la carrière d’un artiste ; si nous éprouvons un regret, c’est de ne pouvoir plus témoigner à ce bienfaiteur l’expression de notre vive et inaltérable reconnaissance.
Ce ne sont pas des années qu’il fallait au digne maître ; en quelques leçons, il nous communiqua tous les secrets de son art. Deux feuilles de papier réglé, que nous conservons précieusement, contenaient toutes ses instructions. Les gammes ascendantes, qui étaient l’écueil où nous venions continuellement nous briser, n’étaient plus pour nous que jeux d’enfants ; nous n’en finirions pas si nous voulions énumérer tous les avantages que nous retirâmes de ces excellent conseils. A cette époque, nous débutâmes au Théâtre-Italien, dans Griselda, de Paer, le Nozze di Figaro, il Matrimonio segreto : les personnes qui nous prodiguaient leurs bravos étaient loin de penser que nous n’avions eu que quelques mois de leçons.
Dès que l’on ajoute à son nom le titre de professeur de chant, on se croit autoriser à publier une méthode. Généralement elle ne profite qu’à celui qui parvient à la vendre. Les malencontreuses méthodes, surchargées, encombrées de vocalises, d’études en tous genres et dans tous les tons, n’aboutissent trop souvent qu’à user la voix et à lui faire perdre ses qualités les plus précieuses, la fraicheur et l’éclat.
Combien de jeunes élèves ont perdu leur instrument à la suite de ce travail forcé ! Nous ne voulons pas dire cependant que toute méthode soit inutile ; bien que nous en ayons l’exemple dans Garat, qui fut le plus complet et le plus durable des chanteurs. Il donnait des leçons et n’en avait jamais reçu ; comme second exemple, nous citerons Mme Catalini, qui débuta à seize ans, sans études préalables, et à laquelle il n’a manqué, pour être un talent accompli que quelques notions de musique.
C’est en Allemagne, en Italie, en Russie, où tout le monde chante, que nous avons entendu les voix les plus fraiches et les plus suaves ; et, généralement, ceux qui les possédaient ne les avaient jamais exercées. Nous sommes loin d’approuver cette absence total de travail, bien au contraire, car nous le répétons ici, à ces Allemands, ces Italiens, etc., si heureusement doués, il ne manquait que l’étude, sans laquelle on marche au hasard. La jeunesse, toujours confiante, souvent paresseuse, est toute disposée à ne se donner aucune peine, à mettre de côté la connaissance et la pratique de l’art, prétendant, quand même, être ou devenir d’éminents artistes. C’est une grande erreur. Ce serait tomber de Chaarybe en Scylla, et n’avoir qu’un naufrage en perspective. Ce serait aussi très mal traduire notre pensée et nos intentions si, pour justifier cette erreur, on se servait de nos raisonnements en fait de travail. Un chanteur doit éviter les écueils du trop et du trop peu. C’est en cela qu’un pilote expérimenté, intelligent, devient utile. Il empêche qu’on ne se jette à droite et à gauche, et maintient constamment dans la bonne voie qu’il faut suivre pour atteindre son but. C’est-à-dire toute l’importance qu’il faut attacher au choix d’un professeur.
Pour devenir un chanteur de premier ordre, il faut beaucoup de choses : d’abord, un bon sentiment de musique, de la voix, de l’intonation, de l’étendue dans la respiration. Toutes ces qualités sont données par la nature, et non par les méthodes. Un maître consciencieux doit, nous le répétons, ménager la voix de son élève ; qu’il craigne d’en ternir l’éclat, en lui faisant de études forcées, par conséquent inutiles, et dont le résultat est toujours déplorable.
Nous avons acquis le droit de nous plaindre tout haut de cette manière d’enseigner, ayant été victime de l’inhabileté de notre premier maître.
3. Apprendre la musique avant d’apprendre à chanter
Avant d’apprendre à chanter, il faut apprendre la musique ; l’harmonie, qui en est la grammaire ; apprendre le piano ou tout autre instrument, excepté cependant les instruments à vent, qui fatiguent la poitrine. L’oreille, une fois habitée à apprécier les sons, les saisira sans difficulté, et la voix les rendra avec précision
Quelques personnes croient que, pour se perfectionner dans l’art du chant, il faut s’exercer fort jeune. C’est une profonde et fatale erreur. Fatiguer sa voix avant qu’elle ait atteint sa force et son caractère serait une grande faute. Si l’on n’a pas de voix, l’étude n’en peut donner ; si, au contraire, la nature vous a doué d’un bel instrument, c’est une raison de plus pour ne l’exercer que lorsqu’il est complètement achevé. Que de petites filles, chantant de grands airs, ont perdu la voix au moment où elles auraient dû la trouver.
4. Position de la bouche
Dès les premiers sons qu’un élève fait rendre à sa voix, il doit s’attacher à laisser à sa bouche la position qui lui est naturelle. Que, dans le vain espoir de donner plus de voix, il n’ouvre pas cette bouche comme s’il la présentait au dentiste pour en extraire une molaire. De semblables contorsions sont pénibles à voir, font souffrir l’auditeur et sont de loin d’ajouter aux facultés naturelles.
Les clarinettistes, les violons, les tuyaux d’orgue, on des ouvertures calculées pour produire les sons qui leur sont propres ; agrandissez ces ouvertures, vos instruments ne produiront plus que des sons faibles et incertains. Croyez que Dieu n’a pas moins bien combiné que les hommes l’instrument dont il les a dotés ; vouloir réformer son œuvre est une prétentieuse folie.
L’exemple le plus frappant et le plus à la portée de tous nous est donné par l’oiseau chanteur. Etudiez-le ; voyez le petit travail de son gosier ; écoutez cette exécution pure et nette : ses notes les plus élevées, les traits les plus hardies, ne l’obligent jamais à ouvrir démesurément son petit bec ; ce qui prouve que le larynx seul est en jeu, et non la bouche. Celle-ci doit, autant que possible, rester souriante. Cette position facilite considérablement la prononciation, cet autre écueil des chanteurs.
5. La prononciation
On reproche généralement aux chanteurs de ne pas savoir prononcer avec la forme que l’on donne à la bouche, qui imite parfaitement l’ouverture d’un four ? On ne peut obtenir, une bonne prononciation que par le rapprochement des lèvres.
Il ne faut pas plus de contorsions pour chanteur que pour parler. Talma, Rachel, dont les accents faisaient pleurer ou frémir tout un auditoire, avaient-ils recours à un travail de bouche ? L’ouvraient-ils démesurément pour mieux accentuer et impressionner leur auditoire ? Non. Eh bien, il doit en être de même pour le chanteur.
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