Dystonie focale du musicien et reconnaissance comme maladie professionnelle
Pratique instrumentale et dystonie : un lien causal à forte probabilité
La reconnaissance de la dystonie de fonction du musicien se heurte à la législation restrictive sur les maladies professionnelles.
En effet, le système français ne reconnait que les maladies inscrites dans un tableau de maladies professionnelles défini par décret et la dystonie de fonction n’y figure pas.
Un système complémentaire a été mis en place afin d’élargir le champ de reconnaissance des maladies induites par la pratique professionnelle, mais dans ce cas le système est restrictif puisque, pour pouvoir simplement ouvrir un dossier de reconnaissance, une maladie doit a minima induire un taux d’IPP d’au moins 25 %. Taux inaccessibles avec les modes actuels de calcul des IPP qui prennent peu en compte l’incapacité à continuer son métier mais plus largement l’incapacité dans la vie quotidienne.
Les arguments pour reconnaître cette maladie en qualité de maladie professionnelle ne manquent pourtant pas et la non-reconnaissance ne résiste pas à l’argumentation scientifique pour les personnes qui veulent bien se pencher sur ce dossier.
Lien causal entre la dystonie de fonction et la pratique professionnelle d'un instrument de musique
L'existence d'une association (corrélation positive) entre une exposition et une maladie est nécessaire mais pas suffisante pour conclure à l'existence d'une relation causale.
L'épidémiologie permet d'établir des associations entre des facteurs d'exposition et le risque de survenue d'une maladie. Une corrélation entre une exposition et une maladie ne signifie pas formellement une relation de cause à effet. Un certain nombre d'arguments permet de définir un degré de plausibilité d'une exposition à un risque et la survenue d'une maladie.
Le coq de Chantecler d’Edmond Rostand pensait faire lever le soleil avec son chant matinal. Il y avait bien une corrélation, mais en rien un lien causal.
J’ai tellement la foi que mon cocorico
Fera crouler la Nuit comme une Jéricho,
Et, sonnant, d’avance, sa victoire,
Mon chant jaillit si net, si fier, si péremptoire,
Que l’horizon saisi d’un rose tremblement
M’obéit !
Je chante ! Vainement,
La Nuit, pour transiger, m’offre le crépuscule;
Je chante! Et, tout à coup,
Je recule,
Ébloui de me voir, moi-même, tout vermeil,
Et d’avoir, moi, le coq, fait lever le soleil
Chantecler d’Edmond Rostand (« L’hymne au soleil » de Chantecler, dans la pièce d’Edmond Rostand)
Les critères les plus admis pour définir le lien causal sont ceux définis par Austin Bradford Hill.
Les cinq premiers critères sont généralement considérés comme forts :
- la force de l'association
- la relation dose-effet
- la cause précède l'effet
- la spécificité de l'association
- la cohérence des résultats
Il existe des critères complémentaires :
- la présence de données expérimentales
- la plausibilité biologique
- la cohérence biologique
- l'analogie
La dystonie de fonction du musicien répond à ces cinq critères
1. La force de l'association
Les musiciens professionnels ont un risque de dystonie de fonction particulièrement important par rapport à la population générale. Cette différence de niveau de risque est évidente entre les personnes exposées (musiciens) et les non-musiciens.
2. Le risque est dépendant de la "dose d'activité" réalisée par jour et dans la durée. Il existe une dose-effet.
D'ailleurs l'expérience clinique permet d'indiquer que si le risque de dystonie est faible chez le musicien amateur, ce n'est vrai que si l'on ne considère ni le temps de pratique, ni le niveau de la pratique amateur. En effet les amateurs qui présentent une dystonie focale spécifique à la pratique sont très largement des musiciens de haut niveau avec un long passé d'une pratique assidue. La dystonie focale du musicien survient à des niveaux de contraintes élevées sur le plan neurosensoriel et un temps d’exposition élevé.
3. La cause précède l'effet
La maladie survient de longues années après le début de l'exposition au risque (le début de la pratique), en moyenne après 10 ans de pratique intensive, 10000 heures de pratique.
4. Il existe une spécificité de l'association, du risque et de la maladie
Il s'agit d'une maladie "pratique dépendante". La maladie ne se manifeste pas en dehors de la pratique et est spécifique aux patrons de mouvements les plus contraints. La spécificité est par ailleurs confirmée par la relation mise en évidence par les études scientifiques entre la zone anatomique à risque et la maladie. Les zones atteintes dépendent de l’instrument. La spécificité est plus nette encore pour la dystonie de l'embouchure du musicien et du pied du percussionniste. La pathologie de la dystonie focale est exceptionnelle en dehors de ce contexte.
5. La cohérence des résultats
Des résultats comparables concernant la santé du musicien et la dystonie de fonction sont obtenus par différentes études de cohortes dans différents pays.
6. Présence de données expérimentales
Il existe une cohérence entre les études épidémiologiques et les études de laboratoire indiquant l'induction de dystonie focale de la main lors de gestes répétitifs chez le singe.
7. Plausibilité biologique
L'association entre l'exposition et les manifestations de dystonie semblent logique. La maladie atteint les zones les plus contraintes sur le plan mécanique, ainsi l'atteinte est différenciée selon les instruments et leur pratique.
8. Analogie
On retrouve des troubles similaires pour d’autres types de pratique et d’exposition focale à des contraintes neuromotrices, par exemple "la crampe de l’écrivain".
Le diagnostic de dystonie de fonction liée à la pratique d’un instrument de musique reste un diagnostic clinique. Cela demande de la part des thérapeutes un niveau d’expertise certain. Aussi l’argumentation est d’autant plus forte que le diagnostic repose sur l'avis d’une équipe pluridisciplinaire, telle que nous l'avons mise en place dans le cadre de l’Association Européenne Médecine des Arts avec des thérapeutes particulièrement expérimentés dans ce domaine.
Désormais, les partenaires sociaux, les musiciens eux-mêmes doivent agir sur le plan médico-légal afin de faire avancer la législation permettant la reconnaissance de la dystonie focale du musicien comme maladie professionnelle. Les arguments positifs sont à notre avis suffisants aujourd’hui dans la mesure où le diagnostic aura été argumenté par des thérapeutes expérimentés dans ce domaine.
Rédacteur. Docteur Arcier, président fondateur de Médecine des arts®
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Bibliographie
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