Du rêve à la réalité d'une danseuse

Témoignage d’une danseuse et professeur de danse

Oui, j’ai rêvé la danse, mais la réalité était-elle à l’image de ce rêve ?

rêve de danse

Du rêve à la réalité

Fallait-il que je persiste dans cet univers personnel ? Je le connaissais. L’intuition me guidait depuis l’enfance. Une vérité de la sagesse, respectueuse, attentive, aimante de l’harmonie, de la beauté. Bientôt peut-être prendrais-je conscience de certaines illusions. Mais profondément, je ne voulais pas me tromper moi-même, perdre mon savoir. Ma connaissance intuitive me guidait, me disait quel était le chemin que je devais prendre. Pas à pas, déjà je dansais. Mais il faut lutter pour préserver ce savoir. Ces premiers pas qui déjà rendaient hostiles les enseignants, car ma perception intime leur était mystérieuse. Ils ne comprenaient pas l’attention que je portais aux mouvements fondamentaux. Je ne voulais pas avoir mal, car ils forçaient les positions de base, et moi je m’y refusais. Dans les exercices, je voulais être en union avec mon corps. Mais il fallait bien apprendre la technique académique. La grande difficulté était d’acquérir le langage dansé en s’opposant à l’autorité enseignante. Une ambiguïté s’installait en moi : faire, ne pas faire, obéir, me soumettre au savoir de l’autre que je jugeais faux. Mon corps me le disait, je l’écoutais : il ne cessait de me dire : « non, pas comme ça… Ecoute-moi, ressens-moi, persiste. » Le corps ne ment pas, l’âme du corps, le corps de l’âme sont indissociables.

La respiration

Je me souviens d’un cours que je suivais régulièrement tout en étant à l’opéra. Ce cours privé très renommé était tel que je sortais du studio, le visage tout rouge. Cela traduisait que la respiration naturelle était immobilisée. Mais on me disait : « c’est bien, tu es toute rouge, cela démontre que tu as très bien travaillé !! » Ce qui évidemment était inexact. Comment peut-on danser en bloquant sa respiration, l’enseignant demandant de serrer, de contraindre notre corps, d’effacer les courbures naturelles. Le corps est immobilisé par l’enseignement académique, et les compensations corporelles se multiplient pour tenter de trouver un nouvel équilibre, que l’on ne peut atteindre en ne respectant pas la structure profonde du corps.

Respecter le corps du danseur

J’étais toujours en bagarre intérieure, mon objectif n’étant pas celui que l’on m’imposait. Mais je voulais apprendre, danser, rien ne pouvait finalement me faire renoncer à la danse. Donc de compromis en compromis, je m’adaptais aux circonstances de l’enseignement. Un malaise s’installait en moi. Je jonglais avec cette incompréhension : pourquoi ne pas respecter le corps humain dansant ? Pour du spectaculaire ? … Certainement, mais au détriment des artistes danseurs. La beauté et l’harmonie des danseurs ne sont pas spectaculaires. La beauté est émouvante, bouleversante, elle surprend le regard, elle nous émerveille, elle est là, intangible, elle nous sensibilise. Alors, aimons-la cette beauté, laissons-la respirer, vivre et l’amplitude des mouvements n’en sera que plus surprenante, par son aisance, sa parfaite cohérence. En respectant ce qui vient d’être dit, en bannissant les exploits, les danseurs seront enfin heureux de s’exprimer dans ce beau langage, en le respectant lui aussi. Dépasser les limites humaines ne peut aboutir qu’à de graves accidents. Est-il indispensable d’aller dans ce drame, souvent irréparable, alors que le corps ne cesse de dire : « Stop ! Ne continue pas, laisse-moi respirer, laisse-moi vivre le mouvement dansé ». Dans ces périodes tragiques, l’âme et le corps sont séparés. Une profonde réflexion s’impose. L’évidence ne peut être contournée. Sentir, percevoir, écouter son corps sera le seul chemin à prendre. Il n’y a que soi qui sait, tout en apprenant avec les autres. Le mystère est là : « découvrir le langage dansé, en sachant qu’il est inscrit au fond de soi, et que rien ni personne ne pourra déformer ce savoir inné ».

Anne Goléa-Marinovitch Opéra de Paris Ballet du XXème siècle Maurice Béjart Professeur de danse pendant 20 ans dans une école nationale.
Rédactrice pour Médecine des arts® Copyright Médecine des arts©

Bibliographie

1. « Lettres sur la danse » de Jean Georges Noverre. Première publication 1760. Editions Lieutier (copyright 1952). 
2. « Pour une danse enfin libérée » d’Adolfo Andrade. Editions Robert Laffont. Collection : « Réponses ». 
3. « Les cris du corps » de Patrice Zana et Yoshi Omori. Editions Alternatives.


 

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