Unités (Les Trois)
Unité de temps, unité de lieu d’action, telles étaient, au gré des anciens, les règles fondamentales du théâtre, et Aristote a disserté sur ce sujet tout à son aise, aussi bien qu’Horace. Boileau lui-même n’a pas hésité à construire là-dessus un de ces brefs aphorismes dont il avait le secret : Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.
Bien que cette théorie classique ait été observée par les pères de notre théâtre, on doit remarquer que Corneille eut quelque peine à s’y soumettre, car un de ses contemporains fait observer à propos de sa troisième pièce, la Veuve, qu’ « elle n’est pas plus régulière que ses deux premières pour l’unité de lieu, » et qu’ « à l’égard du temps elle renferme un espace de cinq jours, cet illustre auteur ne pouvant encore se soumettre à la règle rigoureuse des vingt-quatre heures. » C’est à Mairet, dit-on et à sa Sophonisbe (1629) qu’on doit la première observation de cette dernière : « Cette Sophonisbe de Mairet, dit un chroniqueur, fut la première pièce ou la règle des vingt-quatre heures fut observée ; et comme il fallait, dot-on, faire agréer ce changement aux comédiens, qui imposaient alors la loi aux auteurs, le comte de Fiesque se chargea de leur en parler ; il communique leur consentement à Mairet, qui fit sa tragédie renfermée dans cet espace de temps. »
Un écrivain théâtral imprimait ceci en 1824 :
Notre poétique théâtrale est tant soit peu bégueule ; elle prescrit tyranniquement trois règles, que son intolérance nous défend de violer, sous les peines portées contre les barbares et les fauteurs du mauvais goût. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action sont les conditions du beau, conditions sine qua non au Parnasse d’Aristote. Les partisans exclusifs du genre classique raillent avec une supériorité assez plaisante ceux de nos auteurs dramatiques qui pour élargir les voies où marchent la Melpomène et la Thalie françaises, cherchent à s’affranchir des limites rigoureuses dans lesquelles les unités les ont circonscrits. Cette prétention des classiques de notre pays fait sourire les Allemands, les Italiens, les Espagnols, les Portugais et les Anglais, qui, cédant moins aux règles géométriques du théâtre des anciens qu’aux inspirations de la nature, composent des ouvrages que chez nous on appelle monstrueux, parce qu’ils sont hors de nos habitudes. Shakespeare, Schiller, Goethe, Addison, Ottway, Calderon, Moratin et Lope de Vega sont condamnés par notre orgueil national, qui veut quand nous sommes les seuls à genoux devant Bossu, Le Batteaux et l’abbé d’Aubignac, que nous ayons seuls du bon goût et de la raison.
Au moment où ces lignes étaient écrites, l’école romantique préparait sourdement ses batteries et s’apprêtait à secouer, avec la vigueur que l’on sait, la théorie vermoulue des trois unités antiques, qui ne furent pas de force à résister à cet assaut et passèrent bientôt à l’état de souvenir.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885
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