Sentinelles sur le théâtre
Parmi les excentricités qui sont à mettre au compte de l’ancien régime, il faut rappeler celle qui consistait à placer sur chacun des côtes de la scène, dans nos grands théâtres, une sentinelle armée, le fusil chargé, qui devait rester immobile pendant tout le temps que le rideau était levé. Ce singulier usage persista, je crois, jusqu’à la Révolution, et donna lieu plus d’une fois à des scènes burlesques. On a rapporté pourtant à ce sujet un épisode touchant : Mlle Gaussin, actrice de la Comédie-Française, dont le talent était fait de tendresse et de passion, jouait un jour le rôle de Bérénice dans la tragédie de Racine ; à un certain moment, elle déploya tant de sensibilité, montra tant d’abandon dans la douleur qu’elle devait exprimer, que l’un des soldats placés en sentinelle sur le théâtre, profondément ému par le jeu de la grande artiste, fondit tout à coup en larmes et laissa tomber bruyamment son fusil sur le plancher. On devine l’effet produit sur le public par cet incident, qui fut célébré par un poète dans une pièce de vers commençant ainsi :
Quel spectacle touchant a frappé mes regards,
Quand, sous le nom de Bérénice,
Gaussin de son amant déplorait l’injustice !
J’ai vu des flots de pleurs couler de toutes parts,
Et jusqu’aux fiers soldats en larmes,
Oubliant leur emploi, laisser tomber leurs armes.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885
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