Sauver une scène
Dans le théâtre moderne, surtout depuis l’avènement et la brillante victoire des doctrines romantiques, on rencontre, dans certains ouvrages, des situations très délicates, des scènes d’un sentiment passionné très audacieux, qui exigent de la part de leurs interprètes, à côté d’une grande puissance d’expression, une sorte de réserve relative, beaucoup de tact et de mesure, de façon à ne pas effaroucher le spectateur et à ne pas froisser ouvertement des convenances que le public veut toujours voir respectées. C’est cette mesure, ce tact, cette réserve du comédien qui font passer condamnation sur certaines audaces excessives du poète, et c’est la talent tout particulier dont il fait preuve en pareil cas qui « sauve la scène » dangereuse, et excite les applaudissements au lieu d’appeler les murmures qu’un moins habile eût fait naître.
Glissez, mortel, n’appuyez pas,
Telle doit être la devise de l’acteur lorsqu’il s’agit pour lui de sauver une scène. Il y a un demi-siècle, Damas, à la Comédie-Française, était renommé sous ce rapport ; plus tard, Laferrière jouit de la même réputation ; il en est de même aujourd’hui, depuis longtemps déjà, pour M. Delaunay, qui, à l’aide de son incomparable talent, a sauvé bien des scènes scabreuses et conjuré les dangers de situations singulièrement difficiles.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885
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