Petite Mademoiselle (La)
Opéra-comique en trois actes, livret de MM. Meilhac et Ludovic Halévy, musique de M. Ch. Lecocq, représenté au théâtre de la Renaissance le 12 avril 1879. Le succès toujours croissant des opérettes du genre burlesque depuis vingt ans oblige les auteurs à de grands efforts pour en trouver de nouvelles. Au nombre de leurs interventions récentes figurent les cocasseries historiques. Prendre pour cadre un des faits de notre histoire nationale, le remplir avec une mise en scène très soignée, presque exacte, des décors et des costumes d’une fidélité relative, faire servir tout cela à la représentation de bouffonneries sans nom débitées dans le langage le plus bas et le plus plat, c’est là un piquant contraste, un assaisonnement offert au public qui dispense du goût littéraire et de l’art dramatique ; car on ne peut donner le nom d’art à une juxtaposition de scènes décousues où l’imprévu est la règle, l’invraisemblance l’élément du succès. Le premier acte se passe aux avant-postes de l’armée royale, devant Paris, en 1652 ; le deuxième à l’hôtel de ville, le troisième à l’hôtel Cameroni. La jeune comtesse Cameroni, veuve d’un mari vieux et infirme, est sollicitée par Mazarin d’épouser le frère jumeau de ce vieillard. Elle embrasse le parti de la Fronde tout aussi bien que la grande Mademoiselle, équipe une troupe à ses frais et intrigue avec l’Espagne. Mais elle veut entrer dans Paris pour mieux lutter contre Mazarin. Elle se munit du passeport d’une certaine Mme Douillet, femme d’un notaire d’Angoulême, chez qui les officiers de la garnison trouvaient facilement bon souper, bon gîte et le reste. La réputation de Mme Douillet s’était répandue jusque sous les murs de Paris, car, à la vue du passeport, les galants officiers entourent la comtesse et veulent la retenir. Celle-ci appelle à son aide le capitaine de Manicamp qui, la trouvant charmante, en devient sérieusement amoureux. La comtesse profite de cette passion subite pour obtenir de lui d’entrer dans Paris. Cet acte est émaillé de scènes burlesques ; des bourgeois, en jouant aux boules, se sont aventurés trop loin et ont été faits prisonniers ; leurs femmes viennent au camp les réclamer. L’un d’eux chante la chanson du cochonnet que le public a trouvée de son goût ; la légende du notaire d’Angoulême et les couplets de Mme Douillet ont été également remarqués. Pendant le second acte la comtesse, cachée sous le nom de Trompette chez sa sœur de lait, Mme Taboureau, cabaretière, soutient les frondeurs et les paye. Le capitaine Manicamp l’a suivie, déguisé en garçon charcutier, et se cache à son tour chez la tripière Madelon. La bataille s’engage ; Manicamp va rejoindre les royalistes ; la petite Mademoiselle fait élever des barricades que Manicamp attaque et escalade. La comtesse est faire prisonnière. C’est dans cet acte que se trouvent les intermèdes les plus bouffons et d’un réalisme de parti pris qui plaît à beaucoup de gens. Il paraît qu’on aime voir la comtesse Cameroni, qui joue un rôle politique, crier aux buveurs qui appellent la fille ? : Eh té ! la fille, la voilà ! Pas besoin de crier comme ça ! Il paraît qu’il est agréable d’entendre chanter à une tripière : Quand le cervelas va, tout va ! Je n’connais qu’ça/ Le septuor de la conspiration a été traité en charge et le musicien a rappelé en les parodiant, quelques passages du septuor des Huguenots :
Demain donc, demain à l’hôtel de ville
Nous y serons cent, nous y serons mille,
Tout ce que Paris a de flibustiers,
De coupeurs de bourses et d’aventuriers,
Les gueux, les filous, toute la racaille,
Nous les pousserons tous à la bataille ;
Nous les lancerons,
Les ameuterons,
Et par ce moyen nous réussirons.
Et là-dessus, Dieu nous assiste,
Bien qu’il soit triste
D’user de moyens violents,
Dieu soit pour nous et favorise,
Dans cette crise,
La cause des honnêtes gens.
Des rythmes anciens et populaires, des timbres de la Clef du caveau fournissent au musicien, pour ces nombreux couplets d’opérette, des passe-partout utiles ; ici c’est la Faridondaine, ailleurs c’est une autre chanson. Une scène, comique à cause même de sa platitude, est celle dans laquelle la tripière harnache son mari pour la patrouille :
Prends garde au froid, prends garde au chaud,
Il y a là un souvenir de la garde nationale assez exact.
Les meilleurs morceaux, au point de vue de la comédie musicale, sont les couples de Trompette et Lambin et ceux de Trompette. La comtesse, déguisée en servante, arrose à ses frais les gosiers des émeutiers et leur chante cette drôlerie, qui a eu un succès de fou rire et de bon aloi :
Notre patron, homme estimable,
Voyant l’état ou s’ trouve Paris,
Veut qu’un’ diminution notable
Soit faite aujourd’hui dans les prix.
Tant qu’ dur’ra la cris’ politique,
Par ma voix il vous avertit,
Qu’à tous ceux qui boiv’nt, sa boutique
Va rester ouvert’ chaque nuit,
Et qu’avec ça, ça n’est pas tout,
Et qu’avec ça, j’ suis pas au bout,
Et qu’avec ça, v’la la merveille,
Et qu’avec ça l’ prix d’ la bouteille
Ça n’ s’ra pas vingt sous, ça n’ s’ra pas dix sous,
Ça n’ s’ra pas cinq sous, ça n’ s’ra pas deux sous,
Ça s’ra, ça s’ra ce que chacun voudra.
A la fin de l’ouvrage l’actrice, s’adressant au public, lui annonce dans une variante :
Que pour voir la p’tit’ demoiselle
Ça n’ s’ra pas vingt sous
Ça n’ sra pas dix sous, etc.
Ça s’ra beaucoup plus cher que ça !
Et en effet cette opérette, pendant le premier mois de ses représentations, a fait encaisser au théâtre de la Renaissance la somme de 139,125 francs ; ce qui donne une moyenne de 4,600 francs de recette quotidienne.
La mazarinade qui sert de thème au finale est commune. La comtesse a été conduite dans l’hôtel Cameroni, où elle doit épouser le préféré de Mazarin. Grâce aux manœuvres du cabaretier Taboureau et de Manicamp, elle échappe à un mariage odieux et finit par épouser son capitaine.
Les morceaux les mieux accueillis sont les couples de Jacqueline, Jeunes et vieux, le motif joué par les petits violons, et le vilerai de la comtesse, Arrivé à Bordeaux. Les principaux interprètes de cet ouvrage ont été : Mmes J. Granier, Desclauzas, Mily-Meyer, MM. Berthelier, Vauthier, Urbain, Lary, Libert. L’habitude d’écrire a donné à M. Ch. Lecocq une souplesse et une dextérité qui lui font suivre les paroles presque à la lettre, comme accent et comme rythme. En sa qualité de bon harmoniste, il sait faire tomber la parole et la bonne note sur l’accord avec précision. Il en résulte pour l’auditeur une satisfaction un peu commune, mais qui répond bien à son degré de culture musicale. C’est de l’art à la hauteur de l’idée qu’on se fait de la musique dans le haut et petit commerce, chez les gens oisifs ou occupés qui ne demandent qu’à se distraire. Les amateurs d’art et les gens de goût n’ont rien à voir dans ce gens de plaisir, dont le plus grand mérite est d’être lucratif pour ceux qui le cultivent.
Dictionnaire des Opéras. Dictionnaire Lyrique. Félix Clément, 1881
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