Mlle Rosalie Levasseur

Comédienne

Mademoiselle Levasseur n’avait point, comme tant d’autres de ses camarades, une de ces figures heureuses qui flattent et intéressent au premier aspect. Elle n’avait pas non plus une de ces tailles sveltes, élancées, souples et majestueuses qui impriment de la dignité à une femme de théâtre ; elle n’avait pas enfin cette réunion d’avantages extérieurs qui semblent placer l’actrice sur la ligne où marche le rôle qu’elle représente ; mais elle devait à la nature et à l’étude d’autres qualités faites pour plaire et pour entraîner. Elle avait de l’esprit, de l’intelligence, de la raison, de la sensibilité, une connaissance très étendue du théâtre et de ses effets ; elle approfondissait tous les personnages dont elle remplissait les rôles ; elle en saisissait le caractère et les différents traits ; elle motivait toujours, de la manière la plus palpable, l’expression des sentiments qu’elle voulait peindre, enfin comme le foyer de son talent était dans son cœur, et qu’il était entretenu par une étude constante de l’art et de ses ressources, non-seulement elle communiquait à sa figure la physionomie convenable à l’âge, à la nature de son personnage ; mais encore elle savait donner à sa taille de la noblesse, de l’élégance et de la majesté et sa gesticulation avait tour à tour, de l’énergie ou de la fierté, ou une mollesse gracieuse.
On aime une actrice qui a réuni aux qualités que donne le hasard, celles que l’on acquiert seulement par l’étude et la réflexion ; mais on estime, et l’on aime davantage celle qui a eu le courage de combattre et de surmonter les obstacles qu’une physionomie ingrate et une constitution physique peu agréable mettaient à ses succès.
Telles furent les qualités de mademoiselle Rosalie Levasseur, qui pendant quelques années fut un des soutiens des ouvrages de l’immortel Gluck et de l’Académie impériale de Musique. Son nom rappellera toujours toute la puissance de ces dons précieux, de cette sensibilité profonde, de cette magique chaleur et de cette impétuosité tragique que cette actrice possédait à un haut degré. Obéissant à des considérations particulières, elle quitta le théâtre vers l’an 1788, aux grands regrets de ses camarades et des vrais amateurs de la scène lyrique.
Retirée dans une des principales villes d’Allemagne, elle jouit aujourd’hui, à l’ombre de l’aisance, du repos et de la tranquillité, de toute la gloire qu’elle s’est acquise dans sa jeunesse.

Galerie dramatique, ou Acteurs et actrices célèbres qui se sont illustrés sur les trois grands théâtres de Paris. 1809


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