Meneghino

L’un des types caractéristiques du théâtre italien moderne, auquel il apporte une saveur toute locale. Meneghino, en effet, n’est pas un personnage comme les autres et parlant comme eux : fameux surtout à Milan, où il est populaire comme Punch l’est à Londres et à notre Guignol à Lyon, il n’emploie sur la scène que le dialecte lombard, ce dialecte qui, bien plus encore que l’italien pur, se rapproche du français. Meneghino descend en ligne droite, dit-on, du Menego du seizième siècle, et même du Menghino de la Lena de l’Arioste. « Il a, dit Frédéric Mercey, remplacé Arlequin et Brighella. Meneghino est l’enfant gâté des Milanais, le héros du théâtre de la Stadera ; son talent consiste surtout dans une espèce de gaucherie adroite, dans la façon plaisante avec laquelle il se heurte contre les murailles et trébuche contre les saillies du parquet sans jamais tomber ni sans rien perdre de son sang-froid. » En fait, Meneghino est un naïf, mais dont la naïveté est parfois spirituelle, comme dans cette réponse à un compère qui lui fait remarquer qu’il a un bouton à l’oreille : « C’est que j’aurai entendu quelque chose de sale »,  répond Meneghino. Par exemple, il est effroyable distrait, et ses distractions font la joie du public. « S’il est à table », a dit un de ses portraitistes, « il met du sucre dans la soupe en guise de sel, verse à boire sur la tête des convives, puis leur enlève leurs perruques pour les faire sécher dans le feu. Il sert des bûches pour de la mortadelle de Bologne, et le vase de nuit pour la soupière. Il prend la chandelle pour la bouteille au vinaigre, et répand du suif dans la salade. Il met le rôti avec les bottes sur la planche au pain. Il va allumer sa chandelle chez le voisin, revient chez lui battre le briquet et s’étonne que l’amadou soit inutile. Il est naïf dans ses étonnements, et refuse de faire la commission qu’on lui donne parce qu’il a rencontré un homme à trois têtes, qui n’est autre qu’un peintre portant deux portraits. » Les Milanais ont une véritable adoration pour Meneghino, et son nom sur l’affiche attire toujours le public. J’ai vu jouer un jour, au théâtre Nuovo Re, un drame burlesque qui portait ce titre plein d’ampleur : Chiara di Rosemberg, ovvero il féroce Montalban, assassino del proprio figlio, con Meneghino postiglione, fattore e scopritore d’un orribile delitto. La soirée ne fut qu’un long éclat de rire. Au physique, Maurice Sand a peint Meneghino avec une complète exactitude : « Il porte la veste courte, et la culotte de drap vert à boutons et à galons rouges, le gilet à fleurs, les bas rayés. Sa figure, d’une expression joviale, au nez retroussé, est encadrée d’une perruque à cheveux plats, se terminant par une queue ficelée de rouge, et son couvre-chef, galonné de rouge, ressemble bien plus à ces casquettes de feutre, d’une forme démesurée, que portaient les bouffons du seizième siècle, qu’à un chapeau à trois cornes. » Deux artistes surtout se sont rendus célèbres, à Milan, depuis le commencement de ce siècle, par la façon dont ils ont rendu le type de Meneghino et le talent qu’ils y ont déployé. Le premier est Moncalvo, qui devint directeur de la troupe comique dont il était le meilleur soutien : le second, qui fut son élève, s’appelait Luigi Preda, prit sa retraite en 1878, et est mort en 1884.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885


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