Espagne (De la musique en)
Parmi les nations européennes, il n’en est point qui possède une plus belle organisation musicale que le peuple espagnol. Cependant, quelque incontestable que soit son aptitude pour la musique, l’Espagne est loin de rivaliser avec l’Italie, l’Allemagne et la France, pour le nombre et le mérite de ses compositeurs. Un concours de circonstances particulières l’a empêchée d’acquérir, sous ce rapport, le développement auquel ses heureuses facultés lui permettaient d’arriver. Dès les premiers temps du moyen-âge, la nation espagnole cultiva la musique, et le fondateur de son école est Alphonse, roi de Castille, auquel ses peuples donnèrent le nom de Sage. Il fonda une école de musique à l’université de Salamanque. Dans les XIVe et XVe siècles, les Espagnols eurent aussi leurs décidores ou troubadours. A la requête de Jean 1er, roi d’Aragon, deux troubadours furent envoyés du collège de Toulouse à Barcelone, où ils fondèrent une école de musique qui subsista jusqu’à la mort de Martin, successeur de Jean. Le marquis de Saint-Sulliane (vulgairement appelé Santillana), qui écrivit un Traité sur la poésie castillane, vers 1440, parle avec éloge d’un compositeur nommé Don Jorge Saint-Sorde ; de Valence, qui vivait à cette époque. Il cite aussi plusieurs autres musiciens, quelques-uns parleurs noms, et les autres pour leurs ouvrages ou les circonstances de leur vie. Mais de tous les maîtres de l’harmonie espagnole, celui qui se distingua le plus à cette époque fut François Salinas, né à Burgos, et qui, quoique- aveugle dès son enfance, n’en devint pas moins le premier contrepointiste de l’Espagne, et même un des savants les plus distingués et des littérateurs les plus remarquables de cette époque. Salinas consacra trente années de sa vie, à la théorie de la musique. Les ouvrages de Boèce furent les principales bases de ses travaux et de ses études. Mais comme on apprend moins dans les livres des érudits que dans celui de la nature, sa doctrine est moins praticable que spéculative, et souvent elle manque de précision et de clarté. Cristofo Moralès rivalisa avec Salinas, moins pour le mérite de ses ouvrages didactiques que par l’éclat de son. talent comme compositeur. Sous ce dernier rapport, il fit faire des progrès remarquables à la musique espagnole pendant le quinzième siècle. Son motet, Lamentabor Jacob, religieusement conservé dans les archives de la chapelle pontificale, à Rome, est chanté chaque année dans une des plus grandes solennités de l’Église. Le meilleur harmoniste après lui fut Louis Vittoria, auteur de motets très-estimés : il en composa pour chacune des fêtes de l’année. Les messes dont il est l’auteur ne sont pas moins belles, et l’on remarque surtout celle appelée Missa di Morti, exécutée longtemps à Rome, ainsi que ses Psaumes de la pénitence. Au seizième siècle, l’Espagne fut fertile en grands musiciens, dont quelques-uns rivalisent avec les plus brillantes illustrations des écoles flamande et italienne. C’est aussi à cette époque que la musique dramatique commença à être cultivée dans la péninsule ibérique ; mais elle n’y jeta pas un grand éclat. Le peu d’encouragement donné par le gouvernement aux compositeurs dramatiques est la principale cause de l’infériorité du peuple espagnol sous ce rapport.
Mais en revanche la musique religieuse prit, au seizième siècle, de beaux développements, grâce aux riches dotations qu’elle reçut du clergé et de particuliers opulents. Charles Patigno, Juan Noldan, Vincenzo Garcia, Mathias-Juan Viana, François Gherrero, don Joseph Nebra, ont laissé des messes, des motets, des cantates d’une grande beauté.
Plusieurs de ces artistes ne furent pas seulement des compositeurs remarquables, ils furent aussi des chanteurs éminents, de très-habiles instrumentistes, et quelques-uns furent employés à la chapelle du pape, à Rome. Mais une fois arrivée à ce haut point de splendeur, l’Espagne déchut rapidement. Cependant, malgré sa décadence, l’art espagnol conserve encore quelques vestiges de son antique beauté. Qui ne connaît, au moins par quelques fragments, ces chansons populaires, empreintes de la poésie des traditions locales, ces copias, ces sarabandas, où se montre toute la gaieté du caractère espagnol ! Qui ne connaît ces fandangos, ces boleros, ces seguidillas qui se dansent et se chantent encore avec accompagnement de guitares et de castagnettes ! C’est dans ces chansons et ces danses populaires que se révèle d’une manière remarquable le génie espagnol. La guitare est l’instrument favori de ce peuple. On peut même dire que jusqu’à ces derniers temps c’est à peu près le seul qu’il ait cultivé. Cependant les autres organes de l’harmonie commencent à se répandre en Espagne, mais seulement dans les hautes classes de la société. Quant au peuple, son plus grand bonheur est de jouer de la guitare, et quand un artisan a fini sa journée, il se rend sur la place publique, et se délasse de son travail en jouant sur cet instrument des boleros et des seguidillas.
Qui sait à quels magnifiques résultats l’Espagne pourrait arriver, si un gouvernement ami des arts s’appliquait à développer et à diriger le goût passionné qu’éprouve le peuple espagnol pour les jouissances de l’art musical. Si les dons de la nature étaient fécondés par les bienfaits de l’éducation, nous n’en doutons pas, le génie de l’antique lbérie aurait un glorieux réveil, et sa musique subirait une brillante métamorphose. L’Espagne a perdu, il y a quelques années, un compositeur d’un mérite distingué, qui promettait de tirer la musique dramatique de l’état de décadence où elle est tombée dans son pays. Gomis a passé quelque temps à Paris, et tous ceux qui l’ont connu savent quel compositeur éminent l’Espagne aurait eu en lui, si la mort n’é- tait venue l’enlever tout à coup dans la force de l’âge et dans toute la maturité du talent. A l’exemple de la France, l’Espagne a fondé plusieurs journaux de musique, qui doivent contribuer à la vulgarisation de cet art, dans ce pays labouré par les révolutions politiques.
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