Démocrite
494 Avant J.-C.
Démocrite médecin-philosophe, était de Miler. On place différemment le temps de sa naissance et de sa mort. Trasillus dit qu’il vint au monde la troisième année de la LXXVII° olympiade, et Apollodore au commencement de la LXXX° ; ce qui fait une différence de dix ans seulement. Mais il en est une de plus grande entre les années auxquelles on a fixé sa mort. Quelques-uns la mettent à la première année de la XCIV° olympiade, 404 avant J.-C. ; ce qui ne peut s’accorder avec les époques de sa naissance et la vie longue qu’on lui donne unanimement. D’autres placent sa mort en 361 avant J.-C., la quatrième année de la CIV° olympiade ; et à ce compte, en mettant sa naissance en la LXXVII°, il a vécu cent neuf ans, qui est le terme de vie qu’on lui donne ordinairement.
- Démocrite fut surnommé Abdéritain, parce qu’il passa la plus grande partie de sa vie à Abdère, ville de Thrace. Sa naissance était des plus illustres, s’il est vrai qu’il descendait d’un frère d’Hercule, ainsi qu’il est marqué dans la lettre que les Abdéritains écrivirent à Hippocrate à son sujet. Il étudia sous Leucipee, et, suivant quelques-uns, sous Anaxagore ; il s’attacha à toutes les sciences, même à la médecine ; et il eut une si grande passion de s’instruire, qu’il consuma tout son patrimoine à voyager. Il alla s’enrichir des connaissances de la Perse, de l’Egypte, de Babylon et des Indes ; il s’entretint partout avec les philosophes, les médecins, les sacrificateurs, les magiciens, les gymnosophistes. Il poussa même si loin l’ardeur de s’instruire par les voyages, qu’Eusèbe dit qu’il y passa la plus grande partie de sa vie, et qu’il ne les interrompit qu’à l’âge de quatre-vingt ans. Elien est du même sentiment, mais il ajoute que Démocrite, en cherchant à s’instruire, eut un autre objet dans ses courses, et que ce fut le plaisir de passer sa vie inconnu et étranger à tous lieux ; qui les lui fit prolonger jusque dans un âge aussi avancé.
- On attribue plusieurs ouvrages à ce philosophe-médecin. Tels sont les suivants : De la nature de l’homme ou de la chair, De la peste et des maladies pestilentielles, Du pronostic, De la Diète, Des causes des maladies. Mais on sait parfaitement qu’il ne nous reste aucun de ceux qu’il a composés, et quoiqu’on ait encore aujourd’hui, dans la Bibliothèque du roi de France, quelques manuscrits grecs de chimie qui portent son nom, on ne doute point qu’ils ne soient supposés. Les Traités, dont parle Vander Linden, et qu’il attribue à Démocrite, ne lui appartient pas plus que ceux que je viens de citer.
Voici la notice qu’il en donne :
Physicorum et mysticorum liber, avec les commentaires de Synesius et de Stephanus. Il était à Leyde parmi les manuscrits de la bibliothèque de Jean ELichmann, savant médecin de cette ville.
- De arte sacra, de rebus naturalibus et mysticis libellus, ex venerandoe Groecoe velustatis de arte et Pelagii, antiquorum philosophorum, in cumdem commentaria. Interprete Dominico Pozimentio, Vibonensi Italo. On trouve ce livre dans le recueil d’Antoine Mizauld, qui a paru à Cologne en 1572, in-12°, et en 1571, in-16, sous le titre de Memorabilium, sive, arcanorum omnis generis centurioe novem.
Comme Démocrite avait une passion extrême pour l’étude, il s’arrêtait autour des tombeaux, afin de mieux méditer dans la solitude. Quelques jeunes gens vinrent un jour l’y troubler, et comme ils s’étaient déguisés en spectres pour lui faire peur, il leur dit, sans lever les yeux : « Ne cesserez-vous point de faire les fous ? » Cet amour de la retraite le fit assez ressembler à Héraclite, à cette différence près, que celui-ci pleurait de la sottise des hommes, au lieu que Démocrite en riait continuellement :
Perpetue riau pulmonem agitare solebat.
Cette manière d’agir le fit passer pour fou dans l’esprit des Abdéritains qui, peu de temps auparavant, lui avaient érigé une statue et fait présent de cinq cents talents, en considération de son ouvrage intitulé Le diascome. Ils prirent ses ris continuels pour une marque de démence ; ce qui les engagea à faire venir Hippocrate pour le traiter. Ce médecin trouva Démocrite occupé à disséquer divers animaux ; et lui ayant demandé pourquoi il le faisait, il en eut pour réponse, que c’était pour découvrir la cause de la folie qu’il regardait comme un effet de la bile. Cette réplique fit connaître à Hippocrate qu’on se trompait fort dans le jugement qu’on portait de cet homme ; non-seulement il dit que Démocrite n’était pas insensé, mais que personne n’était plus capable que lui de guérir la folie des autres. Diogène de Laërce rapporte que ce philosophe était doué d’une si grande sagacité, qu’il discerna, en présence d’Hippocrate, que le lait qu’on lui apportait, était d’une chèvre noire qui n’avait encore fait qu’un chevreau. Ce qu’on ajoute est plus frappant : on dit qu’ayant salué à titre de fille une jeune personne qui accompagnait Hippocrate, il la salua le lendemain à titre de femme, parce qu’il reconnut à ses yeux qu’elle avait été déflorée la nuit précédente. Si le fait est vrai, cette clairvoyance est capable de rendre la philosophie odieuse à la moitié du genre humain. Au reste, fût-il vrai autant qu’il paraît destitué de vraisemblance, la philosophie n’a point à craindre d’essuyer aucun reproche à ce sujet aujourd’hui, où les médecins de nos jours n’ont point la sagacité de Démocrite.
Si Pétrone est digne de foi, Démocrite a tiré des sucs de toutes ses plantes, et il a employé une grande partie de sa vie à faire des expériences sur les pierres et sur les arbrisseaux. Mais la pratique de ma médecine était-elle la fin de ses occupations ? ou ne cherchait-il qu’à satisfaire sa curiosité ? C’est ce qui est difficile à décider. Sénèque dit qu’il avait trouvé le secret d’amollir l’ivoire, ainsi que celui de composer des émeraudes avec des cailloux mis au feu. C’est sur ces faits et les précédents qu’on l’a regardé comme un savant anatomiste et un bon chimiste, et que plusieurs auteurs ont avancé qu’il avait écrit sur les sciences qui lui ont fait donner ces noms.
On dit que ce philosophe, étant ennuyé de vivre, retrancha tous les jours quelque chose de sa nourriture ; mais que sa sœur l’ayant prié de ne pas se laisser mourir dans le temps de certaines fêtes qui étaient prochaines, afin qu’elle ne fût pas privée du plaisir de l’y trouver, il se fit apporter du pain chaud et vécut encore trois jours en le flairant.
D’autres, pour renchérir sur le merveilleux, on dit qu’il s’était rendu aveugle par la réverbération d’un miroir ardent, afin d’être moins distrait dans ses médications. Laberius veut que ce fut pour ne pas voir la prospérité des méchants ; et Tertullien dit que Démocrite ne se détermina à cet aveuglement volontaire, que parce qu’il ne pouvait pas avoir le sexe sans émotion. Ce trait d’histoire est mis au rang des fables par Plutarque, si Démocrite devint aveugle, il est bien apparent qu’il le devint par accident ou par vieillesse. Mais de quelque manière que ce soit, Cicéron nous apprend que ce philosophe s’en était aisément consolé, et que, s’il ne pouvait plus distinguer le blanc d’avec le noir, il savait néanmoins discerner le bien d’avec le mal.
MM Bayle et Thillaye. Biographie médicale par ordre chronologique. Paris Adolphe Delahais, 1855
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