A sa sœur, Naples 19 mai 1770
A sa sœur
Naples 19 mai 1770
C. S. M.
Je te prie de m’écrire bien vite et tous les jours de poste. Je te remercie de m’avoir envoyé ces histoires d’arithmétique, et te prie, si jamais tu veux attraper, un mal à la tête, de m’en envoyer quelques-unes encore. Pardonne-moi de si mal écrire, mais la raison est que, moi aussi, j’ai un peu mal à la tête. [1]
Le 12° menuet de Haydn, que tu m’as envoyé, me plaît beaucoup, et tu en as composé la basse d’une façon incomparable, sans la moindre faute. Je t’en prie, essaie souvent pareille chose.
Que maman, n’oublie pas de faire nettoyer les deux fusils. – Ecris-moi comment va M. le canari. Chante-t-il encore ? Siffle-t-il encore ?... Sais-tu pourquoi je pense au canari ? C’est qu’il y en a dans notre antichambre, qui fait un grincement comme le nôtre. – A propos, je pense que M. Johannes [2] a bien reçu la lettre de félicitations que nous avons eu l’intention de lui écrire. Si pourtant il ne l’a pas reçue, je lui dirai de vive voix, à Salzbourg, ce qui aurait dû s’y trouver. Hier, nous avons mis nos habits neufs : nous étions beaux comme des anges. – Mes compliments à Nandl, et qu’elle prie assidûment pour moi. – C’est le 30 qu’on commencera à donner l’opéra que Jommelli compose [3]. – Nous avons vu la reine et le roi à la messe de la chapelle de la Cour, à Portici. Nous avons aussi vu le Vésuve. Naples est une belle ville, mais populeuse comme Vienne et Paris. De Londres ou de Naples, au point de vue de l’insolence du peuple, je ne sais si ce n’est pas Naples qui l’emporte. Ici, les gens du peuple, les lazzaroni, ont leur propre gouverneur, qui reçoit le roi, chaque mois, 25 ducati d’argento, rien que pour les maintenir dans l’ordre.
La De Amicis chante à l’Opéra. Nous sommes allés la voir chez elle. – C’est Caffaro [4] qui compose le second opéra ; Ciccio di Majo [5] le troisième ; pour le quatrième on ne sait pas qui.
Va assidûment à Mirabell [6] pour le chant des Litanies ; va entendre le Regina Coeli ou le Salve regina, et dors bien, ne fait pas de mauvais rêves. – A M. de Schiedenhofen mes féroces compliments, tralaliera, tralaliera ! … Et dis-lui qu’il faut qu’il apprenne à jouer du piano, le menuet à reprises, pour ne pas l’oublier [7] : qu’il s’en occupe bientôt, afin de me procurer un jour le plaisir de l’accompagner. – Fais aussi mes compliments à tous nos autres bons amis et amies, et reste en bonne santé, et ne t’avise pas de mourir, afin de pouvoir encore m’écrire une lettre, et que je t’en écrive une autre, et ainsi de suite jusqu’à extinction. Moi, je suis de ceux qui veulent faire jusqu’à ce qu’enfin il n’y ait plus moyen de faire. EN attendant je veux rester.
W. M.
- [1] Tout ce début est en italien.
- [2] J. Hagenauer, l’abbé, l’un des fils du marchand
- [3] Armida abbandonata.
- [4] Pasquale Callaro (1708-1787) né à San-Pietro in Galantina. Il s’agit de son opéra : Antigono.
- [5] Franscico Ciccio di Majo (1745-1774) né à Naples. Il s’agit de son opéra : Eumène.
- [6] Château de l’archevêque de Salzbourg.
- [7] A partir de cette phrase, jusqu’à la fin, le verbe thun (faire) est répété et souligné quatorze fois, par plaisanterie.