A ma soeur, 24 mars 1770
A ma sœur
Bologne 24 mars 1770
O ma diligente sœur
J’ai pensé qu’ayant été si longtemps paresseux il n’y aurait pas de mal à être de nouveau, un petit moment, actif. Tous les jours de poste, quand arrivent les lettres d’Allemagne, le boire et le manger me semblent bien meilleurs. Je t’en prie, écris-moi qui chante dans les oratorios. Dis-moi aussi les livres de ceux-ci. Et puis si les menuets de Haydn [1] te plaisent, s’ils sont meilleurs que les premiers ? Je me réjouis du fond du cœur que M. de Aman soit rétabli. Dis-lui, je te prie, qu’il prenne beaucoup de précautions ; il ne lui faut pas de secousse violente. Dis-le lui, je t’en prie – Dis-lui aussi comme je pense souvent au temps où nous jouions à faire les ouvriers, à Triechenbach ; et comme, alors, il figurait de Schrattenbach [2] en faisant couler le sac à plomb – Et dis-lui encore que je pense souvent à ces mots qu’il me répétait : « Nous couperons-nous en deux ? » A quoi je lui répondais, chaque fois : « Et comment nous raccommoderons-nous ? »
Prochainement, je t’enverrai un menuet que M. Pick a dansé au théâtre et qu’ensuite tout le monde a dansé au bal de l’Opéra à Milan ; rien que pour que tu voies comme les gens dansent lentement ici. Le menuet, en lui-même, est trop beau. Il vient de Vienne, naturellement, et par conséquent il est de Deller ou de Starzer. Il a beaucoup de notes : pourquoi ? Parce que c’est un menuet de théâtre, qui se danse lentement. Du reste, les menuets de Milan, et en général tous les menuets, italiens, sont très chargés de notes, ont un mouvement lent et beaucoup de mesures. Par exemple, la première partie compte 16 mesures, et la seconde 20 ou même 24.
A Parme, nous avons fait la connaissance d’une cantatrice, que nous avons entendue chanter, admirablement dans sa propre maison : la célèbre Bastardella [3]. Elle a : 1° une belle voix ; 2° un gosier ravissant ; 3° une hauteur de voix incroyable. Elle a chanté en ma présence les sons et les passages ci-contre.
[1] Michel Haydn, frère de Joseph, chef d’orchestre de la cour de Salzbourg et plus tard organiste de la cathédrale (1737-1806)
[2] Schrott, gros plomb de chasse, et back, ruisseau, évoquant le nom de l’archevèque de Salzbourg, Sigismond, de Shrattenbach.
[3] Lucrezia Agujari (1743-1783). - Voici le témognage de Léopold Mozart dans sa lettre :
...« Les passages que Wolfgang a notés étaient vraiment dans ses airs, et elle les a seulement chantés avec un peu plus de douceur que les notes, les plus basses, mais c'était aussi beau qu'un son d'orgue. Les trilles et tout le reste, elle les a faits exactement ainsi. Et sa voix descend pourtant fort bien jusqu'au sol de l'alto...»