10 causes principales de pathologies de l’appareil locomoteur en danse
La santé du danseur et de la danseuse. Évaluer les risques.
Les risques musculo-squelettiques représentent les troubles les plus fréquents chez le danseur et la danseuse, quel que soit le style de danse classique ou moderne. 60 à 80 % des danseurs ont rapporté au moins une lésion qui a affecté leur pratique [1] et plus de la moitié des danseurs ont rapporté au moins une lésion chronique [2] L’étape première de la prévention est le repérage des facteurs de risques afin de les traiter avec plus d’efficacité.
1. L'en-dehors
L’en-dehors est une position de base en danse classique, mais aussi également dans de nombreuses danses « du monde »
L’en-dehors correspond à une rotation externe du pied de 90° par rapport à l’axe sagittal ; il doit idéalement provenir pour 70° de rotation de la hanche, pour 5° de la rotation externe du squelette jambier, pour 15° de l’abduction du pied. Le plus souvent, la rotation externe de la hanche est insuffisance et cette relative raideur contribue à l’existence des pathologies du rachis lombaire et des membres inférieurs.
Certaines conformations pourraient faciliter la pratique de l’en-dehors, la rétroversion du col fémoral par exemple permettrait d’augmenter l’angle de la rotation externe ; à l’inverse l’antéversion pourrait limiter ce mouvement. Certains danseurs n’obtiendront jamais une ouverture des pieds à 180° et devront accepter un « en-dehors » moindre plutôt que de « forcer », ce qui n’aboutirait qu’à une perte d’harmonie des mouvements et exposerait plus encore les danseurs à des lésions articulaires. La hanche est très sollicitée en raison de l’en-dehors (rotation externe du membre inférieur) et de l’amplitude extrême utilisée dans ses trois degrés de liberté. Chez les danseurs de plus de 40 ans, la coxarthrose est particulièrement fréquente, elle a pu être chiffrée dans un enquête à 17,5 % de la population de danseurs, alors que celle-ci n’était observée que chez 2 à 4,7 % dans la population générale et dans 10 % de la population sportive.
2. La flexion-extension, qui met en jeu des amplitudes extrêmes au niveau de toutes les articulations des membres inférieurs
Chaque articulation par sa configuration anatomique offre aux danseurs des possibilités de mobilité, de degré de liberté qu’un travail progressif permet d’optimiser. Pour autant lorsque l’hypersollicitation musculo-squelettique se combine à une exploitation extrême de l’amplitude articulaire, le risque lésionnel s’accroît fortement. La difficulté est de satisfaire à la pratique, à un rôle, une chorégraphie qui engage fortement le corps dans sa globalité tout en étant à l’écoute de soi et en respectant son potentiel physiologique. Travailler avec une trop grande amplitude peut être dommageable, l’articulation n’est pas faite pour supporter trop de tension dans certaines positions.
3. Hyperlaxité
L’hyperlaxité rencontrée chez la plupart des danseurs pourrait être un mode de « sélection naturelle ». La souplesse de la colonne vertébral, des hanches, des chevilles représente « les stéréotypes » que l’on se fait du danseur. L’hypermobilité généralisée semble un facteur de prédisposition institutionnalisé pour entrer dans les écoles de danse. L’hyperlaxité, si elle permet de faciliter certains mouvements, a également des conséquences défavorables par les microtraumatismes qu’elle permet. Si à court terme elle peut prédisposer à des tendinopathies, synovites aiguës, douleurs articulaires et musculaires notamment chez l’enfant et l’adolescent, l’hyperlaxité peut avoir également pour conséquence à long terme de favoriser le processus arthrosique. Si l’hypermobilité articulaire n’est pas spécifique aux danseurs, elle n’est pas non plus nécessaire pour atteindre un excellent niveau. Si elle semble présenter « un avantage » pour la pratique de la danse (le gain d’amplitude dans les mouvements articulaires du tronc et des membres inférieurs est parfois impressionnant), surtout au moment de la sélection, elle est aussi un facteur de vulnérabilité face aux risques de blessures. L’aide de kinésithérapeutes spécialisés peut s’avérer utile, voire nécessaire, pour développer une pratique qui préserve au maximum l’intégrité musculo-squelettique du danseur.
4. L’échauffement insuffisant et surtout le refroidissement musculaire lors des répétitions
Les danseurs ont souvent appris précocement à pratiquer un échauffement efficace, mais parfois les conditions préalables à la pratique ne sont pas réunies, l’environnement du travail peut être précaire (tournées, locaux inadaptés). Parfois l’échauffement n’est pas suffisamment maîtrisé. La préparation fait partie intégrante de la pratique de la danse, elle doit être intégrée précocement chez l’élève en danse. Cet échauffement est primordial, il prépare le corps à la pratique. En danse classique, celui-ci se fait habituellement à la barre et cet échauffement peut se dérouler en différentes phases durant 30 à 45 minutes ou peuvent se succéder des exercices de réveil musculo-articulaire, d’étirement et de renforcement musculaire.
Cet échauffement présente 3 bénéfices en faveur d’une réduction des dommages corporels : 1. L’exercice préalable à la pratique augmente la température du muscle et du tissu conjonctif, ce qui entraîne de fait un risque diminué sur les tissus musculo-tendineux. 2. Prépare sur le plan cardio-vasculaire le corps à l’action, permet un meilleur ajustement du système cardio-vasculaire et une distribution adaptée de l’oxygène au niveau des muscles actifs lors de la pratique. 3. Stimule la lubrification et la préparation des articulations pour bénéficier d’une mobilité optimale.
A noter que l’environnement du studio ou de la salle doit être à une température suffisante. Un environnement froid est associé avec un flux sanguin diminué aux niveaux des extrémités corporelles. Lorsque ces parties corporelles sont moins bien irrigués, leur température diminue et elles sont plus enclines à subir des dommages.
5. Les chaussons
Les chaussons, qui ne peuvent absorber les chocs, et les chaussons de pointe dont la dureté de l’empeigne crée de nombreux conflits cutanés et unguéaux : sources de phlyctènes, brûlures et onychodystrophies.
Le chausson doit s’adapter aux types de pied, améliorer le confort et la protection cutanée, assurer un amortissement des impacts avec des choix de matériaux amortissants (mais qui ne produisent pas d’échauffements).
Les chaussons de demi-pointe : en toile ou en cuir. Il s’agit d’un assemblage de la semelle et de la toile réalisée par une couture qui se trouve au niveau des têtes métatarsiennes. « Une couture proéminente peut occasionner des métatarsalgies invalidantes. »
La pointe : c’est un chausson en satin renforcée par un encollage que l’on peut subdiviser en 3 parties :
La pointe (offre une surface portante de 4cm2 environ, plate ou arrondie)
L’empeigne recouvre la partie dorsale des orteils. L’empeigne est choisie le plus souvent serrée et rigide, par les danseuses, afin de soutenir davantage les têtes métatarsiennes. Son adaptation au pied, surtout lorsque le chausson est neuf, est un problème permanent, à l’origine de lésions cutanées et unguéales.
Le cambrion ou semelle. « Un cambrion trop souple entraîne des déformations des orteils et favorise les entorses tibio-tarsiennes. Un cambrion trop rigide entraîne des microtraumatismes directs des articulations tarso-métatarsiennes et des crampes de la voûte plantaire. » [3]
6. Le sol
Le sol devrait compenser le manque de qualité d’absorption des chocs que les chaussons ne possèdent pas. Les chaussons ne sont pas adaptés à la propulsion et à la réception.
Le sol doit répondre à des conditions essentielles :
- La souplesse est un critère important notamment pour diminuer traumatismes, tendinopathies, fractures de fatigue, périostites.
- La surface doit être lisse sans être glissante. Inégalité du support (plis sur un tapis par exemple), sol glissant augmentent le risque de chute, d’entorses.
Une surface répondant à ces critères va permettre d’absorber les vibrations, les chocs pouvant engendrer des traumatismes. Il existe désormais sur le marché des planchers correspondant à des éléments normatifs pour les danseurs. Trop souvent encore des salles, notamment de répétition, ne sont pas dotées de plancher pour la danse et si en général les scènes institutionnelles sont pourvues de matériels de qualité, ce n’est pas le cas dans bien d’autres lieux. La prévention du spectacle vivant doit être soutenu de manière active et pratique dans chaque département de notre territoire ; conseils et matériels pourraient être mis à disposition des associations ou structures organisatrices de spectacle vivant qui n’ont pas toujours la connaissance et les moyens de financer des matériels sophistiqués mais qui sont indispensables et peuvent permettre de diminuer la morbidité et les accidents des danseurs.
7. Fatigue et surentraînement
La fatigue
Ces athlètes dansent 6 à 8 heures par jour. Il n’existe pas de saison morte ou de repos. Certaines périodes sont des périodes de surmenage par exemple lors des tournées où se succèdent durant plusieurs semaines des rythmes de travail intense qui se surajoutent aux conditions de vie et de déplacement qui limitent parfois le temps de sommeil et de détente. L’observation d’une de ces périodes de tournées montre combien la fatigue s’accumule au fil des semaines. Le risque d’accident musculo-squelettique au fur et à mesure que se creusent les sensations de fatigue s’accroît. Une étude a été engagée auprès de danseurs et danseuses à l’occasion d’une tournée de 5 semaines. D’une part était évalué le niveau de fatigue des danseurs au fil des semaines, et d’autre part les dommages et blessures des danseurs au cours de cette tournée. Les résultats de l’étude sont probants et mettent en évidence la relation entre le niveau de fatigue et le risque lésionnel : accidents physiques, tendinopathies, etc. L’accompagnement des danseurs et danseuses doit s’adapter aux rythmes de travail et devenir plus précis.
Le surentraînement
Il s’agit d’un syndrome polymorphe dont les mécanismes physio-pathologiques sont encore discutés. Le syndrome peut être révélé par une fatigue chronique, et par de nombreux signes : une insomnie, la multiplication d’épisodes infectieux, la présence de troubles menstruels chez la femme, un manque d’appétit, comme des troubles de l’humeur et du comportement, une diminution de la performance, un déficit motivationnel, des douleurs musculaires, des accidents musculo-squelettiques.
S’il n’est pas pris en charge, ce risque peut s’auto-entretenir. En effet, le danseur ou la danseuse constate alors que sa performance est moins bonne, pour les plus jeunes que son évolution technique stagne ou régresse, en dépit de tous ses efforts. Confronté à cette situation, l’un de ses réflexes possibles et malencontreux est de s’entraîner encore plus, ce qui renforce le surentraînement. Nous entrons là dans un cercle vicieux. Ces risques peuvent être accrus par la pression du système, chorégraphe, professeur (mais heureusement dans bien des cas de nombreux professeurs sont très attentifs à la santé de leurs élèves). Mais on sous-estime souvent ce que peut être sur le plan physique et mental la préparation d’un concours comme celui de l’entrée à l’Opéra de Paris, ou de concours internationaux : heures d’entraînement, stages intensifs qui parfois s’enchaînent durant l’année qui précède le concours, pression pédagogique, parentale et des pairs, crainte d’une blessure et de la précarité liée à un échec.
8. Les portés
Un danseur doit être capable de porter sa partenaire à bout de bras ou bien de la rattraper en plein saut.
La levée d’un poids lors d’un porté nécessite des ajustements posturaux constants et dynamiques. Ces ajustements posturaux peuvent atteindre une grande complexité lorsqu’il s’agit de soulever un autre danseur qui peut changer sa configuration durant le porté.
Le danseur doit répondre à des considérations artistiques autant que mécaniques. Il ne doit pas être efficace à tout prix mais l’être le plus possible à l’intérieur des contraintes artistiques imposées. Horosko rapporte que Leibler, médecin traitant des danseurs, croit que la mauvaise technique, la fatigue causée par de longues heures de répétition pour maîtriser un nouveau porté et les partenaires mal agencés sont les principales causes de blessure au dos. [4]
Un chercheur francophone pense que certains portés pratiqués en danse classique sont, en majeure partie, plus dangereux que dans d’autres disciplines ou exercices. « C’est le cas, notamment, du porté à bout de bras nommé "poisson" : de la dynamique de l’appel à la pose finale, avec maintien du porté, la cambrure du bas du dos du porteur à la hauteur des lombaires supporte d’abord une extension et ensuite une pression maximales, particulièrement en L3-4-5. Il y a présence momentanée d’une hyperlordose avec tassement dû au poids du corps soulevé et maintenu vers le haut ».
9. Stress et risques psychosociaux
Le stress et les risques psychosociaux sont des facteurs favorisants les troubles fonctionnels chez le danseur et la danseuse. Il existe aujourd’hui des arguments sérieux et valides en faveur d’un lien de causalité entre certains troubles musculo-squelettiques et le stress. Il paraît plausible que la réponse de l’organisme face aux facteurs de stress mette en jeu quatre systèmes : le système nerveux central (par la sécrétion notamment de cytokines), le système nerveux périphérique (dit autonome ou végétatif), le système endocrinien (par la sécrétion de corticoïde), le système immunitaire. Dans le milieu musical, une étude concernant les musiciens d’orchestre a mis en évidence cette relation « stress – troubles musculosquelettiques. Les musiciens percevant dans leur activité la plus forte exigence alliée à un degré d’autonomie faible concentrent 70 % des pathologies déclarées (les autres connaissent moins de 40 % de troubles).
10. Troubles alimentaires
Les troubles alimentaires vont jouer un rôle défavorable sur la santé musculo-squelettique du danseur
La nutrition influence la capacité du corps à répondre à l’effort requis lors de la pratique de la danse, mais peut aussi avoir des conséquences dommageables sur le plan musculo-squelettique.
L’anorexie est un problème fréquent parmi les danseuses, mais il s’agit en général d’un simple comportement anorexique plutôt que d’une véritable anorexie mentale (en fait l’anorexie mentale vraie n’est guère plus fréquente chez les danseuses). Outre les carences en vitamines, fer, folates, l’anorexie, surtout si elle est associée à une aménorrhée, entraîne une déminéralisation osseuse et favorise la survenue de fractures de fatigue.
Les danseurs avec un index de masse de corps plus bas que normalement (BMI) sont plus fréquemment blessés (tendinopathies, par exemple). Le BMI représente le rapport entre le poids et la taille.
Benson en 1989 a montré que les danseurs avec un BMI (Index de masse corporelle) en-dessous de 19 ont passé plus de jours de congés maladies pour dommages que les danseurs avec un BMI supérieur à 19. Par ailleurs les danseuses avec des BMI plus bas que normalement sont plus enclines à avoir des aménorrhées primaires ou secondaires. L’ensemble de ces troubles favorise les risques musculo-squelettiques.
La danse est un des arts les plus pratiqués en France avec près d’un million de pratiquants. La danse est la première activité physique féminine. Si c’est une activité qui offre dans ses apprentissages une meilleure connaissance corporelle et un développement personnel, il s’agit d’une activité qui, selon les pratiques, les niveaux d’enseignement, les exigences du milieu, doit s’accompagner d’une prévention adéquate des risques. La préparation à une pratique professionnelle et la pratique elle-même de haut niveau présentent des risques significatifs et qui nécessitent la mise en place d’un réseau préventif capable de traiter l’ensemble des risques inhérents à ces pratiques.
Rédacteur : Docteur ARCIER, président fondateur de Médecine des arts®
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Bibliographie
[1] Hamilton, W., L. Hamilton, P. Marshall, and M. Molnar. 1992. A profile of the musculoskeletal characteristics of elite dancers. American Journal of Sports Medicine 20:267–273
[2] Bowling, A. 1989. Injuries to dancers : Prevalence, treatment and perceptions of causes. British Medical Journal 298 (6675) : 731–734.
[3] Tiesce A. Le geste dansé et ses conséquences en rhumatologie. La boratoire Ciba-Geigy, 199
[4] Horosko M. (1988, Back to backs, Part I. Dance Magazine, vol. 52, n°3, p 78-79
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