Orlan s'expose, le corps en question
Le Corps en débat
Si Orlan s'exprime à travers différents support, peinture, sculpture, vidéo, photographies, images numériques, elle nous interroge toujours sur le statut du corps. Elle s'est fait connaitre à ses débuts par ses « performances chirurgicales »
L'acte chirurgical devient avec Orlan, une œuvre d'art, une performance comme une autre mais qui permet le débat public. Elle va au cours des années subir des interventions chirurgicales dont le seul but apparent est l'art et le questionnement du corps dans l'espace social. Le bloc opératoire devient le lieu de création et d'interaction avec le spectateur. Toutes les actions sont filmées et relayées dans des musées, et institutions culturelles. Elle a ainsi fait pratiquer neuf opérations chirugicales-performances entre 1990 et 1993. La chirurgie n'a pour but de transformer le corps dans un corps idéal mais dans une singularité qu'elle dévoile en se faisant greffer des "excroissances" sur son front et les joues par exemple. Elle a détourné pour cela des prothèses utilisées habituellement par la chirurgie esthétique pour rehausser les pommettes.
Pour Orban ce n'est pas du body art, mais de " l'art charnel " puisque le corps est le matériau même de l'art.
En 1999, son travail s'organise autour de la photographie numérique et de retouche infographique afin de dresser un panorama des standards de beauté revu et corriger, "hybrider" (Self hybridations). Le but est de proposer de nouveaux critères de beauté au-delà des normes admises.
L’art d’Orlan est subversif et dérangeant, mais aussi plein d’humour et de distance.
Une interview accordait monde en 2004, la plasticienne Orlan apportait quelques réponses sur son travail
Vous avez effectué neuf opérations de chirurgie esthétique. Visaient-elles à dénoncer ce procédé ?
Orlan répondra « J'ai été la première artiste à utiliser la chirurgie esthétique dans mes performances, mais cet "art charnel" s'est joué de 1990 à 1993 seulement. J'ai fait toutes ces opérations non pour le résultat physique final, mais comme des processus de production d'œuvres d'art. J'ai complètement mis en scène chaque intervention, en tant qu'artiste plasticienne arrivant dans une esthétique de bloc opératoire très froide et refroidissante. Chaque opération a été construite autour d'un texte, soit psychanalytique, soit philosophique, soit littéraire, que je lisais le plus possible durant l'opération et en fonction duquel j'avais décoré la salle. Le bloc opératoire était en même temps mon atelier d'artiste, d'où fabriquer des photos, de la vidéo, du film, des objets, des dessins faits avec mes doigts et mon sang, des reliquaires avec ma chair, etc.
En même temps, vous cherchiez un résultat très différent de celui habituellement escompté avec la chirurgie esthétique, qui vise à un idéal de beauté traditionnel…
Il n'y avait pas d'idéal ni d'image préétablie. J'ai toujours travaillé avec mon corps, mon image et sa représentation, que j'aimais beaucoup, et avec lesquels je n'avais pas de problème. Je l'ai donc fait pour remettre en jeu cette image. Il s'agissait d'utiliser la chirurgie pour la détourner de ses habitudes d'amélioration et de rajeunissement. Le changement le plus visible sont ces implants qui servent habituellement à rehausser les pommettes, que j'ai fait poser de chaque côté du front, ce qui fait deux bosses. J'avais travaillé avec la chirurgienne en posant la question : que peut-on faire comme geste opératoire qui n'a été ni fait ni demandé, et qui est réputé plutôt laid ou monstrueux ? Mon idée était de montrer que la beauté peut prendre des apparences qui ne sont pas réputées belles. Si l'on me décrit comme une femme qui a deux bosses sur les tempes, on peut considérer que je suis laide, et en me voyant, cela peut être un peu différent.
Tenteriez-vous d'élaborer une définition de la beauté ?
Certainement pas. La beauté est à convoquer, ou elle se convoque, de nombreuses manières totalement différentes. Elle échappe à toute définition, à moins de se cantonner aux bonnes vieilles définitions sexistes et machistes sur ce que doivent être un corps et un visage de femme. D'ailleurs, la plupart des chirurgiens - parce que c'est là que peut s'inscrire le plus le pouvoir de l'homme sur le corps de la femme - refusent telle opération, car ils l'estiment contre-productive. Ils pensent que, pour être jolie, il faut des dimensions exactes, avec le nez incliné de tant de degrés... Je voulais sortir des normes, montrer qu'on peut se faire un autoportrait sans passer par l'imitation d'un certain type de modèle de notre époque qu'on nous met en scène.
Vous avez écrit un manifeste de l'art charnel, le distinguant du body art, notamment sur la question de la douleur…
Ce qui est formidable dans notre époque, c'est que la douleur a presque été jugulée. Je suis pour un corps-plaisir, qu'a souvent nié la religion. Pour moi, la douleur n'est pas source de purification ou de rédemption. Je suis contre le fameux "Tu accoucheras dans la douleur" de la Bible, puisque, actuellement, toute la pharmacopée existe pour souffrir le moins possible, même si elle n'est pas toujours utilisée. Aux chirurgiens, j'ai toujours dit que je ne voulais pas de douleur, ni avant, ni pendant, ni après, et les anesthésiants me permettaient de faire une performance durant l'opération. La souffrance me paraît très archaïque et anachronique.
Ceux qui se réclament du body art se font souffrir en public, en se brûlant, en se coupant… Ils peuvent y trouver du plaisir, ou une valeur thérapeutique - Bob Flanagan, qui se faisait souffrir en public, a ainsi dompté une maladie qui aurait dû le tuer à 20 ans ; c'était une bonne raison. Mais pour les autres, je ne trouve pas que cela soit un projet de société, un projet d'art intéressant ou novateur. » Le monde, 22.03.2004
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